jeudi 27 juin 2013

Special "île de l'Est"

L'île de l'Est est, pour les hivernants de Crozet, un peu comme la Lune: on la voit presque quotidiennement, mais elle reste inaccessible. De plus, elle garde une face cachée pour nous autres terriens (par opposition à "marins").
Située à 18 km de la base Alfred Faure, l'île de l'Est est un peu plus petite que l'île de la Possession (130 km2) mais a un relief plus tourmenté qui culmine à 1050 mètres (Mont Marion Dufresne).

L'île de l'Est vue depuis la base Alfred Faure. Elle est surmontée d'un nuage lenticulaire courant dans cette région.
L'île de l'Est a été fréquentée par les phoquiers de la fin du 18ème au milieu du 19ème siècle. Un groupe de sept d'entre eux fait naufrage avec l'AVENTURE le 29 juillet 1825. Ils ne seront récupérés qu'en janvier 1827. Le récit de leurs conditions de survie peut être trouvé sur le lien suivant:
http://www.charbon-et-ether.fr/spip.php?article203

Dans les années 60, un refuge pour six personnes  (baraque Filliod) est installé en retrait de la Baie de l'Aventure, au nord de l'île.

 Une équipe de sept hivernants de la 22ème mission est chargée, sous la conduite de l'adjudant-chef PLOUHINEC, de procéder au nettoyage et à l'inventaire du refuge et de ses abords. Cette activité s'est déroulée le 27 janvier 1985, à partir du patrouilleur austral ALBATROS. Des stocks de produits périmés (nourriture, carburant) laissés pour d'éventuels naufragés ont été enfouis ou ramenés à cette occasion.
Le refuge de la Vallée du Naufrage, immédiatement avant son nettoyage en 1985.

Un ensemble de caisses / abri situé à proximité.

En 2006, lors de la création de la Réserve Naturelle Nationale, l'île de l'Est est déclarée "zone de protection intégrale", c'est à dire d'accès interdit sauf autorisation expresse du Préfet.
En avril 2007, une mission de quelques heures est accordée au bénéfice de l'Institut Géographique National, à l'occasion d'une rotation du Marion Dufresne. Ce sont les photos prises à cette occasion, aussi bien du tour en hélicoptère que celles prises au sol, que je vais vous présenter.

Les trois premières photos ont été prises depuis le Marion Dufresne et montrent la côté sud depuis le large de la Baie du Pacha.

Le Rocher de la Voile (48m) puis à gauche, les Monts Arides (946m) et à droite le Haut Roc (812m).

Vue plus rapprochée du Haut Roc, ancienne cheminée basaltique.

Un peu plus à l'ouest, les rochers "Les Démons" (81m) et en arrière plan la Baie du Pacha.
Les vues suivantes sont prises de l'hélicoptère:

Le lac des Skuas, situé dans le même secteur sud.
La Plaine des Moraines, située au sud-ouest de l'île, en est une des deux grandes vallées glaciaires. Son aspect est proche du "Jardin Japonais" de l'île de la Possession: alternance de rivières, de dépôts de moraines et de mares.

Au fond, la Pointe de la Capuche ferme la baie.


Une manchotière de belle taille
Au nord de l'île on trouve aussi deux vallées glaciaires: la vallée de l'Abondance et la vallée du Naufrage.

La vallée du Naufrage qui débouche sur la baie de l'Aventure.
Pour finir, une des photos prises du sol: hélas le manque de point caractéristique ne permet pas de la localiser...

 Je remercie les hivernants des missions 22 et 44 pour l'emprunt de leurs photos...

dimanche 16 juin 2013

Histoire & patrimoine de Crozet

En débutant cet article, je me suis posé la question de savoir ce qui relevait du patrimoine, et ce qui pouvait être considéré comme vieilleries bonnes pour la casse... c'est en fait la même problématique que n'importe quelle ville: que conserver, que détruire? 
L'histoire de Crozet est jeune, aussi des constructions datant d'une cinquantaine d'années (le début de l'implantation permanente sur l'île de la Possession) ont déjà une valeur patrimoniale.
En fait, on peut regrouper les traces du passé en trois périodes distinctes:
- celles de la période de l'exploitation des mammifères marins par des Américains (XIXème siècle);
- celles témoignant de la réaffirmation de la souveraineté française sur ces îles (jusque vers 1960)
- enfin celles liés à l'édification de la base permanente (à compter de 1963).

Si les îles de l'archipel ont bien été découvertes par Nicolas Thomas Marion Dufresne (son Second se nommant Julien Crozet) en 1772 , ce n'est qu'au XIXème siècle qu'elles commencent à présenter un intérêt commercial. La "Révolution industrielle" en Europe et aux États-Unis exige en effet de nombreuses matières premières, entrainant des bateaux à chasser baleines et autres mammifères marins dans l'Océan Austral. A Crozet, ce sont les éléphants de mer qui font les frais de cette chasse. Des équipages venus du Massachusetts (États Unis) effectuent des campagnes de chasse à Crozet pendant l'été austral. Parler de "chasse" est d'ailleurs un bien grand mot pour des animaux lents et sans défense, qui se laissent massacrer par milliers. Leur graisse est transformée en huile avant d'être stockée dans les citernes des bateaux.

De cette époque nous sont parvenus quelques photographies et quelques objets.

Cabane de phoquiers en Baie Américaine (photo de H.J. Bull, parue dans "The illustrated London News" du 26 septembre 1908: à cette époque le site était déjà abandonné). Notez la cuve semi-sphérique sur la droite.


Le refuge de Baie Américaine en 2013: la même demi-sphère métallique reste bien visible mais les éléphants de mer sont revenus. 



Les deux autres chaudrons de Crozet ont été transportés sur la base Alfred Faure (photo juin 2013)



A quelques centaines de mètres de la Baie Américaine se trouve la Baie du Hébé, autre haut lieu de la chasse aux éléphants de mer. Une photographie ancienne y représente un abri pour les "phoquiers", qui n'a pu être localisé que début 2013 (au départ de l'itinéraire menant à la Baie du Petit Caporal).

Il s'agit d'une anfractuosité naturelle, aménagée pour être fermée par des bâches protégeant ses occupants des vents et de la pluie. Les conditions de vie des "phoquiers" étaient spartiates (photo non datée).

Enfin, pour en terminer avec cette époque, mentionnons l'existence d'un véritable "four phoquier" constitué de plusieurs dizaines de grosses pierres et d'un chaudron, à l'origine implanté dans un thalweg à quelques centaines de mètres au nord de la "Baie Américaine". Menacé par les éléments, il fut démonté et mis en caisse en 2006. Début 2013, les pierres ont été rapatriées sur la base Alfred Faure en attente d'une décision concernant la reconstruction du four à l'identique. 

mars 2013: préparation du transport des pierres du four vers la base.


Pendant la première moitié du XXème siècle, la souveraineté française sur l'archipel des îles Crozet a été réaffirmée de façon occasionnelle. De cette période subsistent deux bornes en béton, l'une en Baie Américaine, l'autre en Baie du Marin. La première, aux inscriptions aujourd'hui effacées par le temps, a été laissée en 1931 par l'aviso Antarès.
La seconde atteste du passage de l'aviso Bougainville en janvier 1939.
voir: http://www.philateliedestaaf.fr/HTML/Timbres/loupe/loupe-PO/PO351.htm


La borne située au dessus de la manchotière de la Baie du Marin (juin 2013)
Après la seconde guerre mondiale, l'Australie et l'Afrique du Sud font savoir aux puissances européennes que les îles australes doivent être soit réellement occupées, soit cédées. Les îles Marion et du Prince Edouard sont alors cédées à l'Afrique du Sud par le Royaume Uni. La France, en revanche, envoie en 1949 l'aviso La Pérouse  réaffirmer la souveraineté à Crozet, où une plaque de bronze est fixée, et à Kerguelen, où la première base va être créée.

Enfin, en 1961 et 1962, deux missions estivales préparent l'établissement d'une base permanente sur l'île de la Possession. La base initiale est installée l'année suivante en Baie du Marin, en plein dans la manchotière.

A l'emplacement des baraquements se trouvent aujourd'hui les cuves de fuel alimentant la base (photo de début 1963, merci à Xavier Langlet). On distingue le câble du premier téléphérique servant à remonter les matériaux vers l'emplacement définitif de la base. 
La base est alors constituée entièrement de baraques "Fillod" à structure métallique. Pour plus d'informations sur ces constructions, visitez le site d'un ancien hivernant:
www.zapgillou.fr/fillod/
Il n'en subsiste que trois sur l'île de la Possession. D'abord  l'ex "Vie Com", ex -BCR, ex-menuiserie, aujourd'hui en instance de démolition:

Cette "Fillod" ne doit un sursis qu'à la présence de fibrociment amianté dans ses flancs. A terme, elle devrait laisser la place à une déchetterie et à un local de stockage (photo juin 2013)
Les deux autres "Fillod" de l'île de la Possession sont implantées à Pointe Basse et en Baie Américaine (voir la baraque rouge sur la deuxième photo). Une autre baraque du même type se trouve sur l'ile de l'Est.
En dehors de ces témoins de "plein air", divers objets et documents historiques sont conservés à la Résidence:

quelques uns des objets et outils anciens conservés à la Résidence
Pour terminer ce post, il convient de mentionner que l'Administration des TAAF possède un service du Patrimoine, chargé notamment d'inventorier, de préserver et de mettre en valeur les témoignages de la présence humaine sur les cinq districts (Crozet, Kerguelen, St Paul & Amsterdam, Terre Adélie, Iles Éparses). Une équipe du service du Patrimoine a d'ailleurs eu le loisir de passer une dizaine de jours à Crozet en novembre 2012, au lieu des trois jours prévus... pour cause d'avarie du Marion Dufresne.
Le prochain post de ce blog: bientôt, sur le thème de la "Mid-Winter" bien sûr !
(note: toutes photos couleur du discro)





vendredi 24 mai 2013

Fête de la Nature 2013

Profitant d'une météo clémente pour la saison, les Crozétiens ont participé à la "Fête de la Nature" organisée par la Réserve Naturelle. Le thème de cette année était "les invertébrés". Un peu moins de 200 espèces sont présentes à Crozet, dont certaines introduites par l'homme. Organisés en équipes, les volontaires ont recherché dans différents environnements ces insectes, araignées, mollusques, en général invisibles car cachés des prédateurs et du vent froid.

Briefing pour les équipes avant l'ouverture de la chasse aux petites bêtes...

Départ d'une équipe en direction du Bollard. Le décor rappelle que Crozet est une île subantarctique !
Un "platier" au Bollard: on y trouve éléphants de mer, otaries et manchots royaux.
La fonte de la neige alimente des cascades d'eau au pied de la falaise: un lieu propice à la collecte.
La neige retombe pendant quelques minutes...
Le retour du soleil est l'occasion de montrer ses trouvailles...
A chaque milieu ses espèces: la zone littorale est plutôt riche...

tri et identification des individus capturés

aspirateur à bouche pour capturer les espèces les plus petites ou fragiles
Pour donner un très bref aperçu de la biodiversité à Crozet, voici quelques uns des spécimens capturés pendant la journée, sur le littoral comme sur le périmètre de la base:

taille réelle: 4mm

plusieurs dizaines d'espèces d'arachnides à Crozet !

Larves de papillon (l'adulte n'a pas d'aile et se nourrit du chou des Kerguelen: il s'appelle d'ailleurs Pringleophaga )

Etoile de mer (diamètre environ 3cm) trouvée nichée dans le pied d'une algue laminaire

samedi 11 mai 2013

Escale du "FLOREAL" à Crozet

La frégate de surveillance "Floréal" de la Marine Nationale a fait escale à la base Alfred Faure de Crozet du 7 au 11 mai 2013. Avec la frégate "Nivôse" et le patrouilleur "Albatros", une de ses missions est la surveillance de la Zone Économique Exclusive des TAAF (îles Éparses et districts austraux). Sur la base de la réciprocité, elle participe aussi à la surveillance de la ZEE australienne (île Heard). Ponctuellement, elle peut aussi porter assistance aux navires de pêche ou effectuer des évacuations sanitaires depuis les districts austraux. Quand elle ne navigue pas dans les eaux froides de l'océan austral, elle intervient dans la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes et kényanes. Le "Floréal" dispose d'une autonomie en carburant lui permettant d'effectuer un demi-tour du monde. Son armement principal est composé d'un canon de 100mm et de deux missiles mer-mer Exocet, ainsi que d'armes plus légères pour son autodéfense. A son bord on trouve un hélicoptère "Panther" et plusieurs embarcations rapides. Son équipage est de l'ordre d'une centaine de personnes et comportait pour la circonstance trois contrôleurs de pêche australiens.

Le Floréal au mouillage en Baie du Marin le 7 mai.
Le 7 mai en milieu d'après midi, le Floréal est arrivé au mouillage par mer assez calme. Un de ses zodiacs a effectué une reconnaissance du ponton de débarquement qui sera utilisé les jours suivants pour débarquer l'équipage sur l'île de la Possession.

Le Panther sur la DZ de la base
Le 8 mai en début de matinée débutent à la fois les rotations en zodiac et celles de l'hélicoptère, au total ce sont 23 visiteurs, dont le Commandant du Floréal et les trois contrôleurs de pêche australien, qui débarquent sur base. Une cérémonie conjointe est organisée pour célébrer l'anniversaire de la Victoire du 8 mai 1945.

Marins du Floréal, militaires de la base et personnels civils sont rassemblés.

Au premier plan, les sous-officiers des trois armées affectés à Crozet.

Lecture du discours par le chef de district, entouré de son adjoint et du Commandant du Floréal.
La garde d'honneur du Floréal quitte la place d'armes.
Après la cérémonie, un "apéritif républicain" (selon la formule consacrée) est offert à tous, suivi d'un déjeuner. Dans l'après-midi, nos visiteurs pourront découvrir la Manchotière, observer les nids de grands albatros au Bollard ou plus simplement faire des emplettes à la coopérative où à la gérance postale. Quelques uns regagnent le bord en fin d'après midi, mais la majorité d'entre eux apprécieront le confort d'une nuit à terre.
Le lendemain matin, ils quittent l'île de la Possession en zodiac, ainsi qu'une dizaine d'hivernants qui vont visiter le bateau pour la journée. La base Alfred Faure accueillera pour sa part une quarantaine de marins, dont vingt restent sur base pour la nuit. En matinée, l'hélicoptère va rechercher d'éventuels pêcheurs pirates dans la ZEE de Crozet mais ne détecte que le "Cap Horn", palangrier réunionnais.

C'est le 10 mai que les choses se compliquent avec une donnée indissociable de Crozet: le mauvais temps.

Les hivernants attendent le zodiac sous une cascade de pluie froide...
Non sans difficultés, le zodiac parvient a effectuer les rotations du matin, rapatriant à bord du Floréal les vingt marins de la veille, en amenant à terre une vingtaine d'autres et embarquant les dix derniers "crozétiens" pour une visite du bateau.

La passerelle du Floréal et son Commandant, le Capitaine de Frégate Eric Caliendo.
Le Panther dans son hangar
En fin de matinée, le vent forcit à 25/30 noeuds et le Floréal commence à déraper, le rapprochant doucement des falaises et des hauts fonds. La décision est prise de quitter le mouillage devenu instable et de prendre la mer. Ceux des crozétiens qui ne sont pas assommés par le mal de mer (ou les patches pour le combattre) déjeunent à bord, à une vingtaine de kilomètres de la Baie du Marin.
Si la rotation prévue pour l'après midi est supprimée en raison des conditions météo, il reste quand même à récupérer les marins à terre et à rapatrier les hivernants en visite à bord...

Le zodiac étant inutilisable, on ressort l'hélicoptère..
Trois des hivernants repartent en hélicoptère et rejoignent la base après moins de dix minutes de vol. Quelques marins y montent alors mais le poser sur le pont arrière du Floréal s'avère difficile en raison du vent très fort, le bateau doit changer de cap pour faciliter le travail du pilote mais la troisième tentative est la bonne.



Après le retour de l'hélicoptère, c'est l'arrêt des rotations d'autant plus que la nuit approche. Alors que le Floréal devait quitter Crozet dans la soirée pour poursuivre sa mission, il faut se résoudre à reporter au lendemain la reprise des opérations avec la terre. En attendant, les crozétiens montés à bord se retrouvent au "carré" du bord.



Dehors, il a neigé sur les reliefs au dessus de 200 mètres d'altitude.
La Baie américaine vue du large


A l'aube du cinquième jour, la neige recouvre toute l'île de la Possession, comme sa voisine l'île de l'Est. Toujours beaucoup de vent et une mer houleuse...
Le Floréal à l'approche de la Baie du Marin

La base Alfred Faure sous la première chute de neige de l'hiver austral

Après un mouillage peu stable en Baie du Marin (les moteurs doivent pouvoir redonner de la puissance en moins de cinq minutes en cas de dérapage de l'ancre) les rotations en zodiac reprennent.

Retour à terre des Crozétiens
Si monter à bord du zodiac s'avère difficile, la suite n'est guère plus facile: malgré l'habileté du bosco, l'embarcation est secouée par les vagues et ses passagers aspergés d'eau de mer à 4°C. L'arrivée au ponton est toute aussi malaisée mais finalement vers 10h00 chacun a regagné son "chez soi" sans casse.


Le Floréal peut appareiller en fin de matinée.