jeudi 26 mai 2022

FICHE ESPECE 1 : LE MANCHOT ROYAL

 

Le Manchot royal (Aptenodytes patagonicus)

Le Manchot royal est le deuxième plus grand manchot au monde, après son cousin empereur, vivant en Antarctique (85 à 95 cm de haut pour 9 à 15 kg de muscles et de gras !). Puisqu’il vit bien loin des australes, vous ne risquez pas de tomber sur ce dernier mais s’il vous venait à l’idée de les comparer, vous remarqueriez que le Manchot empereur possède des plumes aux pattes ! Le Manchot royal possède quant à lui une tâche auriculaire orange vif s’étendant de l’arrière des yeux au-devant de leur cou et le bas de leur bec, appelé plaque mandibulaire, est également orange. La femelle est généralement un peu plus petite que le mâle, avec un bec légèrement plus court et un chant plus saccadé. Les poussins quant à eux ont un bec noir et leur duvet, totalement marron, leur vaut le surnom de « kiwis ». C’est une espèce qui peut vivre une vingtaine d’années en moyenne et jusqu’à 26 ans [2].

Cycle de vie –

Le cycle de reproduction du Manchot royal se déroule sur 18 mois. Les oiseaux, revenant de mer à partir de septembre pour muer, changeront ainsi tout leur plumage mais aussi leur plaque mandibulaire. Ainsi parés de leur plus beau pennage, ils peuvent commencer à parader et trouver leur partenaire de reproduction pour la saison. Une fois cela fait, ils vont choisir un joli petit coin au sein de la colonie, se cantonner, puis pondre un œuf unique que mâle et femelle couveront tour à tour directement sur leurs pattes, sous un repli de peau appelé poche incubatrice. Le mâle étant le premier à couver après la ponte, il jeûnera ainsi plusieurs semaines puisqu’il ne sera pas retourné se nourrir en mer après sa mue.

L’incubation dure environ 55 jours et l’éclosion peut prendre 2 à 3 jours. Le poussin restera au chaud sous la poche de ses parents pendant encore 35 jours avant de commencer à acquérir du duvet, lui permettant de résister au froid. À partir de ce moment il va se regrouper en crèche avec d’autres poussins.

Les parents vont passer de plus en plus de temps en mer et ne reviendront pour nourrir leur poussin que tous les quelques jours voire mois pendant l’hiver. Suite au jeûne provoqué par le départ de ses parents, en Novembre, le poussin va commencer à muer et donc obtenir son plumage d’adulte… ou presque ! Sa tâche auriculaire sera jaune pâle pendant encore 3 ans avant de devenir du même bel orange que les adultes. C’est donc au bout de 10 mois que les poussins partent en mer pour la première fois.

Colonie –

Les royaux ne font pas de nid mais se reproduisent au sein de grandes colonies pouvant comporter des milliers d’individus ; on compte 24 000 couples reproducteurs en Baie du Marin, sur l’île de la Possession par exemple, et on ne parle ici que des couples ! Ils choisissent des plages voire des vallées proches de plages abritées des vents dominants pour installer leurs quartiers. S’ils vivent proches d’autres manchots, ce n’est pas parce qu’ils aiment la proximité mais c’est pour se protéger au mieux des prédateurs. En effet on trouvera un à deux couveurs par mètre carré dans une colonie, rarement plus.

Comportement –

Deux stratégies de reproduction existent chez le Manchot royal et la ponte peut ainsi s’étaler sur 4 mois, voilà pourquoi nous parlons de reproducteurs précoces (‘early’) pour ceux qui se reproduisent tôt dans l’année VS reproducteurs tardifs (‘late’) pour ceux se reproduisant plus tard. Il est d’ailleurs observé que les poussins nés plus tardivement sont généralement plus petits et survivent moins durant les premières semaines de leur vie. Ils grossissent en revanche plus vite.

Le cycle de reproduction s’étalant sur plus d’une année complète, en fin d’année les poussins d’un an et les adultes paradant, voire déjà en reproduction, sont observés ensemble au sein de la colonie.

Pour se retrouver au sein de milliers de manchots tous plus semblables et bruyants les uns que les autres (sans parler du bruit du vent, des vagues, des éléphants de mer…), parents et poussins se reconnaissent au chant. En réalité, les poussins sont habitués à entendre et reconnaitre la signature vocale de leurs parents avant même l’éclosion puisque, quelques jours avant cela, les adultes commencent à chanter régulièrement.

Mais le chant sert de nombreuses autres causes chez le Manchot royal. Il permet de donner des informations sur le sexe du chanteur, d’attirer le sexe opposé lors de la reproduction, d’aider les partenaires d’un même couple à se reconnaître, de menacer les voisins trop insistants et d’empêcher la consanguinité. Et ce n’est pas tout ! En mer, il leur sert aussi à communiquer sur les meilleurs coins de pêche de la zone [3] !

Alimentation –

Les proies principales des Manchots royaux sont les poissons-lanternes mais ils se nourrissent également de céphalopodes et d’autres poissons. Ils peuvent aller chercher ces derniers entre 100 et 200 mètres de profondeur, ce qui est encore bien en-dessous de leur record de plongée puisqu’ils sont capables de descendre jusqu’à 440 mètres de profondeur. Ils suivent généralement le front polaire antarctique pour chasser, allant parfois jusqu’à 400 km de leur lieu de reproduction. La durée des plongées peut atteindre 10 minutes et ils peuvent en effectuer plus de 100 par jour.

 

Gauche : Manchot Royal ; Droite : Manchot Papou (Aquarelle Alexandre Vong)

 

 

 Rédactrice : Celine Bocquet, manchologue, hivernante et résidente permanente en Baie du Marin , Tour operator BUS via Chaloupe / IPEV programme 119


[1] Vianna et al., 2020, Genome-wide analyses reveal drivers of penguin diversification

[2] Bost et al., 2012, King penguin (Aptenodytes patagonicus).

[3] Jouventin & Dobson, 2018, Why Penguin communicates - The evolution of visual and vocal signals.

 

 

 

MANCHOT OU PINGOUIN ?

Manchot ou pingouin ?

Un oiseau noir sur le dos et blanc sur le ventre, qui vit dans l’eau et qui peut se tenir droit sur ses pattes arrières, pas si facile à première vue de faire la distinction entre un pingouin et un manchot. Et les appellations étrangères n’aident pas. Quand on sait que le manchot porte le nom de ‘penguin’ outre-manche, ou que nos voisins hispaniques le nomment ‘pingüino’, impossible de jeter la pierre à qui nommera un manchot, pingouin.

 

L'histoire d'une ambiguïté qui persiste...

     

Pour y voir un peu plus clair, il peut donc être de bon ton de retracer un peu l'histoire du terme manchot dans notre langue.

Le terme « pingouin » est employé depuis plus longtemps que celui de « manchot », assez logique quand on sait que les pingouins ont historiquement été découverts avant les manchots. Ce qui tombe aussi sous le sens car, strictement restreints à l’hémisphère sud (hormis peut-être d’incroyables cas d’oiseaux perdus), on ne rencontre aucun manchot dans l’hémisphère nord, hémisphère exploré bien plus tôt que son pendant austral.

Les « pingouins » seraient grossièrement l’équivalent septentrional des manchots. Ce sont les Alcidés, ces oiseaux marins que l’on peut voir sur nos côtes européennes, comme le coloré Macareux moine (Fratercula arctica) par exemple, mais aussi le mignon Mergule nain (Alle alle) ou le métropolitain Pingouin torda (Alca torda), aussi encore appelé aujourd’hui Petit pingouin. Car à l’origine, le terme « pingouin » et son équivalent britannique ‘penguin’, désignaient le regretté Grand pingouin (Pinguinus impennis), oiseau inapte au vol (à la différence de ses cousins cités plus haut), inféodé à l’hémisphère nord, mais aujourd’hui tristement disparu depuis le milieu du XIXè siècle. Les ‘penguins’, c’étaient alors à l’époque ces oiseaux marins noir et blanc qui vivaient dans l’hémisphère nord, et tout le monde était d’accord là-dessus (même si l’on ne sait toujours pas vraiment aujourd’hui l’origine étymologique du mot « pingouin » ...).

 

Photo © Erwan Balança

Photo © Boaworm, commonwiki





Représentants du groupe des « pingouins », les alcidés. Dehaut en bas . - Le Pingouin torda (Alca torda), le Macareux moine (Fratercula arctica) et le Mergule nain (Alle alle).

 

Maintenant, quand l’hémisphère sud a été exploré, la ressemblance entre ces deux groupes a fait que le même nom leur a été attribué. On avait alors les pingouins du nord et ceux du sud. Mais dans un souci de classification, et peut-être aussi pour éviter trop de confusion, un nom différent a fini par être attribué à chacun des deux groupes. Et c’est là que le bât blesse. Deux écoles ont émergé avec les français d’un côté, qui, sûrement par respect chronologique mais aussi par souci de classification rigoureuse, ont décidé de garder le terme « pingouin » pour les oiseaux du nord, et d’employer le terme « manchot » pour ceux du sud (Buffon, éminent naturaliste français de l’époque, souhaitant mettre en avant avec le mot latin ‘mancus’, « manque », les courtes ailes de ces oiseaux austraux si atypiques qui paraissent presque atrophiées). De leur côté, les britanniques ont fini par retirer au pingouin son nom originel, de ne plus l’appeler ‘penguin’, mais de favoriser plutôt le terme ‘auk’, après avoir attribué par glissement de sens le terme ‘penguin’ aux oiseaux de l’hémisphère sud... Et la disparition du Grand pingouin n’a pas aidé à conserver ce terme pour ses cousins septentrionaux.

Fallait-il renommer les pingouins ou leur laisser leur nom originel ? Pas de mauvaise foi ou de chauvinisme contrarié ici, mais il faut bien reconnaître que la diffusion massive de la langue anglaise à travers le monde par la suite a quelque peu malmené notre terme ‘manchot’ et embrouillé plus d’un esprit...

 

.          ... mais qui est seulement linguistique quand on y regarde d’un peu plus près.

Peu importe comment nous les appelons, une chose est certaine, les pingouins ne font pas parti de la même famille que les manchots. Même s’ils se ressemblent beaucoup du fait de fortes similarités de milieux de vie, l’environnement sous-marin, le froid, ou les proies, ils ne partagent pas la même histoire évolutive. Et la première grosse différence qui saute aux yeux est le mode de locomotion. Certes les pingouins au nord sont eux aussi de formidables nageurs et plongeurs, mais ils n’ont toutefois pas les capacités hors normes des manchots. Et même si leur mode de vie n’est pas aussi spectaculairement aquatique, ils compensent plutôt bien en étant toujours capables de voler. Jusqu’à effectuer parfois d’extraordinaires migrations à travers l’hémisphère nord. Alors que chez nos manchots au sud, strictement inféodés aux milieux marin et terrestre, le vol est depuis fort longtemps perdu.

 

        Ordre des sphénisciformes, famille des sphéniscidés, ...

Un peu comme à l’image des Cétacés chez les mammifères s’il eut fallu faire une comparaison pour illustrer, les manchots représentent parmi tous les oiseaux qui existent ou ont existé les nageurs/plongeurs par excellence.

Les pattes sont courtes, inutile sous l’eau de se percher ou courir, et positionnées bien à l’arrière du corps, ce qui optimise l’hydrodynamisme et la propulsion sous-marine. C’est entre autres cette conformation qui leur confère cette bipédie si caractéristique et familière quand ils sont à terre.

Leurs plumes aussi sont en quelque sorte uniques chez les oiseaux, puisque inutiles pour voler mais entièrement impliquées dans la plongée et la protection face au froid. Les belles et grandes plumes de vol que l’on peut voir chez les albatros par exemple, sont absentes chez les manchots, chez qui les plumes sont presque toutes identiques, particulièrement courtes et raides dans un plumage très dense. Associées au duvet près du corps, ces plumes de surface permettent à la fois d’isoler l’oiseau au maximum lors de ses plongées et de lui procurer ici aussi un hydrodynamisme performant.

Les ailes d’un manchot n’ont ainsi rien à voir avec des ailes d’oiseau « classiques », à tel point qu’elles sont peu souvent appelées « ailes », mais plutôt ailerons ; membre lui aussi unique chez les oiseaux, avec des os complètement aplatis, assurant une portance sous-marine optimale pour une propulsion efficace. C’est d’ailleurs l’étymologie même du nom de la famille des manchots, les Sphénisciformes ; le grec ‘sphen-‘ faisant référence à leurs ailes en forme de coin (outil pas très connu mais qui a effectivement une forme d’aileron de manchots).

Si l’on retourne à présent aux pingouins pour comparer les deux groupes, les ailes (et les plumes si l’on regarde plus en détail) sont donc un critère imparable pour les différencier. Alors que l’on peut avoir l’impression qu’il « manque » des ailes chez les manchots, les pingouins possèdent, eux, toujours de longues plumes de vol réparties sur toute la surface de leurs ailes, qui ne ressemblent pas vraiment aux palettes natatoires des espèces animales complètement inféodées au milieu marin. C’est presque comme si le terme « manchot » était plus adapté que ‘penguin’… Presque…

 

..         ... des groupes diversifiés tout autour de l’océan Austral.

Si l’on quitte maintenant les querelles linguistiques pour se concentrer un peu plus sur la famille des manchots, on reconnaît aujourd’hui au moins 18 espèces dans le monde entier (donc seulement l’hémisphère sud), réparties en six grands groupes, depuis les environnements polaires de l’Antarctique jusqu’aux milieux tropicaux de l’Afrique du Sud ou de l’Amérique du Sud[1].

Et pour ce qui est des Terres Australes Françaises et Crozet en particulier, seules quatre de ces espèces peuvent être rencontrées : le groupe des « manchots à aigrettes » avec les Gorfous macaronis et sauteurs ; le Manchot papou ; et le Manchot royal.

 Rédacteur : Alexandre Vong, ornithologue programme 109 / Ipev