mardi 15 décembre 2009

"Manips" et sorties hors base


Il existe deux types de sorties hors base. Les travaux à caractères scientifiques : les traditionnelles « Manip » et les sorties loisirs devenue au fil du temps « Manip Loisir ».


"Manip" baguage de Grands Albatros


Les opérations à caractère scientifique sont les plus nombreuses, elles sont organisées de façons quasi permanentes. La plupart d'entre elles consistent à manipuler des animaux (baguage, mesure, pose de matériel, prise de sang...) ou des plantes (mesures, prélèvements) d'où leur nom générique de « Manip ».

Plus rares, les sorties loisirs consistent à se rendre sur différents points de l'île pendant le week-end pour profiter des lieux, s'y dégourdir les jambes, prendre l'air ou s'y reposer.


Les manipulations et les études scientifiques qui s'y rapportent constituent une des activités principales de l'ile. En dehors de la campagne d'été les scientifiques qui dirigent ces opérations sont en nombre réduit. Une personne par programme scientifique. Mesurer l'aile d'un albatros, prendre en photo le dessous des pattes d'un poussin manchot, prélever le sang d'un bonbon (bébé éléphant de mer) ou encore baguer une jeune otarie, sont des opérations délicates qu'il est difficile de réaliser seul. Pendant l'hiver, les artisans des programmes scientifiques, ont donc régulièrement besoin de secondes mains pour les aider dans leur travail. Chacun sur Crozet à donc la possibilité, s'il le souhaite, de participer à ces manipulations.


"Manip" Baguage de Grands Albatros


Avant d'arriver ici, en dehors du personnel scientifique, très peu ont déjà participé à des manipulations d'oiseaux ou de mammifères marins. Participer à ces opérations offre des occasions uniques d'approcher de près ces animaux légendaires (albatros manchots royaux, otaries) et surtout de mieux les connaître. Ces sorties permettent de fréquenter les sites et les milieux dans lesquels ces animaux évoluent et de prendre toute la mesure de leur caractère exceptionnel. Ce sont également de belles opportunités pour le personnel logistique de mieux comprendre le travail des scientifiques et mieux apprécier leur obligations et contraintes.


"Manip" Baguage de Grands Albatros


Toutes ces manips se déroulent dans le cadre de programmes scientifiques très règlementés. Elles respectent des protocoles très précis placés sous la surveillance d’un comité d’éthique. La sélection et le soutien logistique de ces programmes est assuré par L'IPEV, l'Institut Paul Emile Victor. Cette agence de moyens et de compétences à pour rôle d'offrir un cadre juridique ainsi que les moyens humains, logistiques, techniques et financiers nécessaires au développement de la recherche française dans les régions polaires. L'IPEV est le partenaire principal des TAAF sur tous ses territoires subantarctiques et antarctique.


A Crozet, 11 programmes scientifiques sont actuellement en cours.

Certains de ces programmes se déroulent essentiellement sur base et ne donnent lieu à aucune sortie. C'est le cas de la plupart des programmes consacrés aux sciences de l'Univers et en particulier des programme sismologie et géomagnétisme. Ils procèdent essentiellement de relevés et d'analyses de données captées sur sites.


D'autres se déroulent essentiellement sur la grande manchotière un kilomètre en bas de la base. C'est le cas des programmes « Ecoénergie », « Ornithothermo », « Ecophy ». Ces programmes se concentrent sur le développement des connaissances du manchot royal: relation entre ses modes comportementaux et ses dépenses d'énergie, caractéristiques biologiques et physiologique, déplacements en colonie et en mer etc. Ces programmes donnent lieux à de nombreuses manips. La plus part d'entre elles se déroulent dans les shelters de la plage (algecos dédiés aux travaux scientifiques) ou au biomar (bâtiment de la base Alfred Faure consacré à l'étude de la biologie marine).


Programme "Ecoénergie"


Programme "Ecoénergie"

Programme "Ecoénergie"

Programme "Ecoénergie"


Participer à ces manipulations permet de suivre l'évolution de la colonie et de mesurer les changements qui s'y opèrent. A notre arrivée les manchots royaux adultes n'étaient que quelques centaines. La plupart étaient partis en mer pour se nourrir. Les poussins livrés à eux même étaient regroupés en crèches. Tous étaient très vulnérables aux attaques des pétrels géants. Nombre d'entre eux y ont succombé.


Depuis le début du mois d'octobre les adultes reviennent de leur campagne de pêche en mer. Les poussins sont nourris et finissent leur croissance. Ils grandissent et grossissent a vue d'œil. Les plus précoces d'entre eux commencent même à perdre leur duvet tout marron pour laisser place à leur plumage de jeune premiers. C'est également la période a la quelle les adultes refont leurs plumage. Par endroit la « Grande Manchotière » est recouverte de plumes et les adultes muant prennent des allures incroyables.


Ces manipulations offrent également de belles occasions de se familiariser avec certains des individus de la colonie. On y apprend par exemple que L11, un des poussins observé dans le cadre du programme N°137 est né tardivement et qu'il fait partie des 4 survivants de l'échantillon de 20 poussins de son âge suivis régulièrement depuis leur naissance.

Au delà de la plage, plusieurs programmes scientifiques conduisent des études en différents points de l'île de la Possession. C'est plus particulièrement le cas des programmes N°109 "Ecologie des Oiseaux et Mammifères Marins" et N° 136 « Ecobio ». Ces programmes donnent lieux à de nombreuses sorties hors base et à de fréquentes manipulations.


La plupart de ces manips ont lieux sur des sites exceptionnels. Certains sites abritent des espèces vulnérables et donc protégées (Gorfou sauteur, Gorfou macaroni, Grand albatros, Pétrels à menton blanc); d'autres hébergent de très forte densité de population (jusqu'à 60 tonnes d'oiseaux au km2). A titre d'exemple la manchotière du Jardin Japonais héberge 33000 couples de manchots royaux reproducteurs.


Petite manchotière de Baie Américaine


Tapis de plume à Baie US


Muants à BUS


Dans la Réserve Naturelle des TAAF qui inclue l'ensemble de l'archipel de Crozet, ces sites font l'objet d'une attention particulière. Ils sont classés sites réservés a la recherche scientifique et techniques. En conséquence l'accès et la fréquentation y sont règlementés et limités.

Les autorisations d'accès à ces sites sont délivrées par le Préfet, Administrateur Supérieur des TAAF. Elles sont accordées annuellement pour chacun des programmes concernés à raison d'un nombre limité de passages, de journées de fréquentation et de personnes. Ces limites sont fixées sur la base de protocoles d'études soumis à l'acceptation des TAAF sur avis du Comité de l’Environnement polaire (CEP) et du Conseil National de Protection de la Nature (CNPN).

Chaque manip organisée sur ces sites donne donc lieux à une demande préalable autorisée par le chef de district qui vérifie le respect de ces arrêtés préfectoraux.


Au delà des autorisations règlementaires, l'accès a ces différents sites et le déroulement des sorties hors bases en général sont soumis au respect d'une procédure interne dédiées à la sécurité des personnes. Cette procédure fixe le nombre de personnes minimum qui doivent composer une sortie en fonction de la zone de destination. Elle fixe les conditions de préparation d'une sortie, elle défini les responsabilités du responsable de la sortie, elle pointe les équipements de sécurité à emporter, elle identifie les modes de communication radio ou téléphone satellite à utiliser. Enfin elle prévoit les conditions d'envoi d'une équipe de secours en cas d'accident ou de silence radio.


Les L'ile de la Possession s'étend sur 18 Km d'Est en Ouest et sur 15 Km du nord au sud. Elle couvre une superficie de 146 Km2. Son point culminant, le pic du Mascarin s'élève à 934 mètres. Les empératures oscillent entre – 5°C et + 15°C avec une moyenne située autour de 5°. Les précipitations neigeuses sont fréquentes mais faibles et passagères. L'île est rarement recouverte de neige et ne possède pas de glacier. A première vue ces éléments ne présentent pas de caractère extrême.


Pour autant toute sortie hors base effectuée ici s'apparente a une sortie montagne. Le relief y est accidenté et n'offre pas d'abris. Il n'y a pas d'arbre ni aucun arbuste à Crozet. Les rochers d'origines volcaniques sont irréguliers et abrasifs. Les sols rocailleux constituent des terrains de progression difficiles. Les crêtes sont très exposées aux vents et les vallées humides sont chargées de souilles. Ces vallées magnifiques sont d'ailleurs l'objet de toutes les attentions et il convient de ne pas s'y enfoncer sous peine d'altérer leur fragile tapis de mousse.


Contact radio à la sortie de la Malpassée


Crête du Styx


Lac perdu

La Tour Blanche


Le Col des Moines


Les précipitations sont abondantes (2500mm par an) et fréquentes (300 jours de pluies par ans). Leur intensité va de paire avec les vents qui les transportent. Les vents dominants de secteurs ouest y sont quasi permanents et régulièrement violents (100 jours par an à + de 100km). Ils provoquent des changements rapides de météorologie.

Située par 46°Sud entre les 40ème rugissant et les 5Oeme hurlants, l'archipel de Crozet essuie une succession ininterrompue de dépressions. Compte tenu de la rapidité des enchainements, il n'est pas rare de voir successivement du soleil du brouillard de la pluie et puis de la neige dans la même journée. Nous sommes coutumiers ici des quatre saisons en un jour.


Réaliser une sortie hors base dans ces conditions suppose donc d'être particulièrement bien équipé et paré à toutes les éventualités. Contrairement à ce qu'on pourrait croire le Pancho trop fragile au vent n'est pas le meilleur allié du Crozetien. L'équipement idéal est le sur pantalon et la veste montagne en gore tex épais. Même s'ils sont traversés par la pluie dans les épisodes les plus violents ils restent les meilleurs alliés de sortie.


Les bottes constituent ensuite la priorité N°2. Elles sont les seules capables de garantir une étanchéité parfaite dans les souilles comme dans les rivières. Elles sont également idéales pour toutes les manips effectuées sur plage. Les terres australes forment traditionnellement deux écoles de randonneurs. Ceux abonnées aux bottes sont les plus nombreux. Ils mettent l'accent sur l'étanchéité et sacrifient le confort de la marche. Les autres plus traditionalistes utilisent le doublé chaussure de randonnée plus guêtre. Ce tandem est moins efficace dans les rivières mais cela permet de conserver de meilleurs appuis dans les parties rocailleuses et surtout, une meilleure tenue du pied et de la cheville. Chacun son clan selon le choix.


Pour le reste, les bâtons de marches sont souvent très appréciés, surtout en cas de vent violent. Lorsque la pluie glacées vient s'ajouter aux rafales, les lunettes de protection du type masque de ski sont un bon atout. Les sacs poubelle pour le change et le duvet constituent la seule véritable protection contre les infiltrations à l'intérieur du sac a dos. En cas de brouillard (100 jours par an) le GPS avec les points clef de l'Ile devient rapidement indispensable.


Le plus surprenant est l'utilisation des raquettes à neige. Pour traverser les parties de vallées recouvertes de tourbières les hivernants ont longtemps hésites entre bottes et chaussures en prenant garde à leur confort mais sans mesurer d'avantage la marque de leur passage. Au fur et à mesure des années certains transits effectués régulièrement se sont trouvés durablement endommagés par les marques profondes faites par ces passages.


Transit abimé vers Baie Américaine



Tapis de mousse vierges vers Pointe Basse


Utilisation de raquettes vers Jardin Japonais


Depuis quelques années une idée nouvelle est apparue. Elle consiste à utiliser de raquettes a neige pour traverser les passages de mousses végétales les plus fragiles. L'utilisation des raquettes répartie le poids de l'individu sur le tapis végétal et permet de réduire les marques. C'est surprenant mais incroyablement efficace.

Depuis cette année pour certains transits nous utilisons donc régulièrement des raquettes à neiges.


Une sortie hors base n'est pas une vraie sortie hors base si elle n'inclue pas au moins une nuit sous tente ou en arbec. Les arbecs sont les refuges des terres australes. L'ile de la possession compte deux arbecs et deux sites de bivouac.

L'arbec le plus près se situe sur la plage de la Baie Américaine, aussi appelée baie U.S ou BUS. BUS se situe a 2H30 de marche de la base, au milieu d'un paysage exceptionnel. La plage ou se trouve le refuge héberge une petite colonie de manchots royaux (principalement des muant) mais surtout au mois d'octobre elle est envahie par les éléphants de mer qui viennent ici pour se reproduire. Elle offre alors un spectacle incroyable qui donne lieux aux plus brillants commentaires.


Refuge de Baie Américaine par temps de neige


Réparation du groupe à BUS


Le second se situe à Pointe Basse à proximité de l'extrême nord de l'ile dans une zone réservée à la recherche scientifique et technique. Le transit vers pointe basse se fait en 6H00. Il nécessite de passer plusieurs crêtes.

Les arbecs de l'ile de la Possession possèdent chacun 5 places. Ils sont construits en bois et posés sur un radier sur élevé du sol pour les protéger de l'humidité. L'intérieur est sobre mais chaleureux on y retrouve tout le nécessaire couramment disponible dans les refuges d'aigle situé en haute montagne. L'approvisionnement et l'entretien de ces arbecs est assuré par l'IPEV et se fait une fois par an par hélicoptère depuis le Marion Dufresne. Les produits alimentaires non périssable déposés à l'occasion de ces rotations sont stockés dans des touques étanches disposées a l'extérieure du refuge et solidement arrimées entre elles. Pour éviter qu’ils ne s’envolent, les refuges sont eux même solidement arrimés au sol par des filins métalliques.


Refuge de Pointe Basse


Intérieur du refuge de Pointe Basse


Compactage des déchets à Pointe Basse


La vie en arbec oblige à s'affranchir du confort de la base et à renouer avec la débrouillardise et la simplicité. Faire sécher ses vêtements au fil du vent, s'éclairer a la bougie, préparer à manger avec les moyens du bord, faire la vaisselle à la rivière, sortir dehors pour faire ses besoins, nettoyer et trier ses déchets constituent des rituels auxquels chacun s'adonne cependant avec le plus grand plaisir.

Les soirées et séjours passés en arbec sont d'ailleurs aussi très souvent l'occasion de morceaux choisis plus ou moins mémorables. Certains sont retranscrits voire illustré avec force et détails dans les cahiers de refuge d'autres au contraire sont tenus secrets et ne sortirons jamais de l'arbec.


Ces moments partagés sont parfois l'occasion de découvrir en certains, d'autres individus et d'autres personnages que ceux vivant sur base. Ces révélations sont souvent de belles surprises.

Au final, les sorties de vivre pleinement le sens profonds d'un départ ou d'un séjour dans les terres australes. Elles permettent de prendre toute la mesure des éléments et des conditions climatiques qui règne ici bas. Elles offrent des occasions uniques de s'immerger dans les milieux naturels de ces iles et de se familiariser avec leurs habitants. Elles permettent de mesurer pleinement les capacités d'adaptations nécessaires pour résister aux conditions naturelles de ces milieux. Surtout elles permettent d'apprécier le caractère exceptionnel de ces lieux et de profiter de leur beauté sublime. Elles sont aussi l'occasion de prendre l'air dans tous les sens du terme, de vivre un autre rythme, de se vider la tête et de se faire plaisir.


Pointe Basse


Jardin Japonais