Un article de Gaël CARDINAL, écobio du programme 136.
Le genre Amblystogenium sur l’Ile de la Possession.
Pour pouvoir observer, comprendre et admirer des créatures minuscules, il nous faut oublier l’échelle de taille habituelle. L’île est un univers, une vallée devient un monde pour que les contrées ne soient que des zones de sol homogène. Un simple caillou mute alors en un fief que l’on se doit de visiter, pour y distinguer les étranges habitants.
Amblystogenium est un coléoptère. Chez ces insectes, l’une des deux paires d’ailes coutumières s’est solidifiée, troquant sa membrane fine et translucide contre une couche consistante de chitine aux reflets bien souvent surprenants. C’est une véritable armure, scellant à l’intérieur la fragilité de leur organe de vol nervuré.
Amblystogeniumpacificum - Photo Gaël CARDINAL
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Sur Crozet, peu d’insectes connaissent les joies de l’aérien. Amblystogenium ne fait pas exception, et l’on déplorera de ne pas y voir le décollage si parfaitement méthodique de ses cousins continentaux. La rencontre entre nos deux espèces ne se fait donc que dos courbé et genoux fléchis.
Mais il convient tout d’abords de savoir isoler les différents taxons répondant au nom d’Amblystogenium, le naturaliste ne se satisfaisant que d’une identification aux confins des possibles. Le genre Amblystogenium pourra donc être suivi du nom d’espèce. Le choix est élémentaire puisque seul deux termes latins sont à retenir : pacificum et minimum. Le premier résulte d’une simple erreur à l’origine de sa description, l’auteur ayant malencontreusement placé Crozet dans le Pacifique. Mais ce nom imprime tout de même l’idée d’océan, collant merveilleusement bien à ces naufragés articulés disposés anonymement sur une île perdue, voilà déjà bien longtemps. Le deuxième, minimum, est à comparer au premier. La notion de taille réduite implique de connaître celle de Pacificum, sans quoi minimum pourrait être petit ou grand.
Pringleophagasp - Photo Gaël CARDINAL
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Les deux espèces d’Amblystogenium sur la Possession se ressemblent à s’y méprendre. Un corps aplati, la démarche mécanique aux pattes surélevées comme si six grues se déplaçaient de concert en soutenant une charge commune. Leurs longues antennes serties de perles en perpétuels mouvements fouillent l’avenir des déplacements à la façon d’un aveugle tenant sa canne. En soulevant les cailloux du fell-field crozétien, on se prend pour un ouragan faisant jaillir le toit d’une maison exposée. L’activité y devient nulle, le changement trop brutal pour être saisi dans l’instant. Plusieurs secondes après, délogés dans la terreur, la catatonie prend fin et l’on peut voir s’agiter quelques individus à la recherche d’un nouvel abri.
Si ce n’est des disques de soies en plus sur les élytres de pacificum et un angle postérieur thoracique plus affûté chez minimum, ces deux espèces se confondent. Mais minimum, la plupart du temps, peut être séparé de l’autre part son envergure moindre car il collectionne moins de cinq millimètres. Il arrive également de trouver la grande espèce à l’apparat divergeant par la couleur, constituant deux écotypes. L’un rappelle le marron d’une terre sèche tandis que l’autre a la teinte brillante de la roche notoirement baptisée Possessionite. Cependant, il est fréquent de voir ces deux formes s’accoupler sans distinction raciale, offrant aux gènes le choix d’apposer telle ou telle couleur aux descendants. La débrouillardise naturelle du vivant permet aux Pacificum noirs de gagner des territoires dans les hauteurs. On en trouve donc davantage, encouragés par une captation des rayons lumineux supérieure à celle des individus pâles.
Nunciaunifaculata - Photo Gaël CARDINAL |
L’hyménoptère Kleidotomaicarus.
L’ordre correspond à un niveau systématique facilement identifiable. L’habitude des observations affine le regard, forge l’aptitude à comparer des formes pour en dégager l’essence commune et permet ainsi de placer le sujet dans la case qui lui correspond.
Il existe à Crozet des espèces qui rendent malaisée cette sensibilité enfantine à classer subjectivement les êtres vivants dans les bons ordres. La mouche Anatalantasp ne possédant pas d’aile peut, à première vue, être associée à une grosse fourmi. Les papillons du genre Pringleophaga, s’ils en sont, ne conviennent pas à l’image habituelle de voiliers colorés laissant traîner sur les doigts une langue de poussière d’étoile. La liste est longue de ces étrangetés à six pattes foulant le sol de Crozet, vestiges vivants souvent amputés d’un membre ou deux.
Notodiscushookeri - Photo Gaël CARDINAL
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Kleidotomaicarus n’entre pas dans cette catégorie. Un œil sur la ligne fuselée, les courbes gracieuses et la démarche délicate de ce petit insecte le range immédiatement aux côtés des guêpes, ses cousines parmi les hyménoptères. On l’associe facilement à la féminité, même si ses mœurs l’ordonneraient davantage en tant que colocataire dérangeant. C’est, en effet, un parasitoïde. Nom pittoresque, signifiant simplement pour l’hôte un destin fatal. Ce minuscule hyménoptère s’attaque à certains diptères autochtones, au stade où ceux-ci ne sont réduits qu’à l’état de cylindre gras et gluant. Un œuf est pondu dans le corps de ces larves pour que deux êtres grandissent ensemble pour un temps, l’un dans un espace clos et l’autre dans l’insouciance d’une liberté bientôt arrachée de l’intérieur. La nature prescrit l’équilibre, et c’est bien ce qui régit les populations de cet insecte. Il joue subtilement de l’ovipositeur entre ses hôtes, assurant à sa propre espèce et à celles dont il dépend un taux de survie suffisant pour que la relation hôte/parasite perdure.
Kleidotomaicarus
(Crafford& al, 1986)
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Kleidotomaicarus n’est pas à rechercher dans les sommets enneigés des Vernes ou dans la toile de cours d’eau du secteur de La Pérouse. On le trouve assurément dans le milieu de vie de ses hôtes, comme Amalopteryxmaritima et Listriomastaxlitorea. À la lecture du nom d’espèce de ces deux précédents diptères, on entend le concert de galets secoués par une mer agitée, on y voit des falaises côtières dégueulant des langues de Leptinellaplumosa sur quelques papous perdus devant l’immensité. On découvrira donc ces guêpes miniatures circulant lentement au sol parmi le fumet des grandes phéophycées échouées, sur la frange littorale de la Possession.
Myrosp - Photo Gaël CARDINAL
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