C. Déroulement de la mission.
Le 13 décembre 1961, à 21 heures
locales, le m/s Gallieni quittait
Tamatave à destination des Crozet ayant à son bord 108 passagers et 2.800
tonnes de matériel à destination des Iles Australes. La navigation s'effectuait
par beau temps et sans faits marquants. Trois jours avant l'arrivée aux Crozet,
les radeaux pneumatiques de débarquement furent gréés. Chaque radeau était constitué par l'assemblage de deux
flotteurs ayant une flottabilité unitaire de 13 tonnes. Le 19 décembre 1961, la
zone de convergence hydrologique était franchie, le navire entrait dans les eaux
de l'Océan Indien Austral. Le temps devenait brumeux mais il y avait peu de
vent et la grande houle des roaries
fourties faisait trêve. Vers 21 h. 30, les premiers échos radar étaient
obtenus sur l'Ile de la Possession et l'Ile de l'Est.
Dans la nuit et dans la brume,
tout l'atterrissage s'effectua au radar et au sondeur ultra-sons. Les hautes
falaises des îles réfléchissaient bien le rayonnement radar, tous les détails
de la côte étaient visibles sur l'écran. En ces temps où il n'existait pas
d'aides modernes à la navigation, la brume aurait retardé l'arrivée et augmenté
les risques.
Le 21 décembre, à 9 heures,, nous
étions ancrés face à ce que l'on supposait être sur l'écran du radar la baie du
Navire, un des meilleurs points de débarquement, sous le vent de l'Ile de la
Possession.
Tout était gris, brume ou
brouillard, humidité intense et froide. Le vent qui s'était levé rendait les
opérations de débarquement tout juste possible. Vers 8 heures, la visibilité
s'améliorait et dans une déchirure apparaissait la baie du Navire comme une
étroite entaille dans les hautes falaises de la côte ; l'arrière pays et le
sommet des falaises restaient noyés de brume. On discernait l'étroite vallée
qui se perd dans l'intérieur de l'île, alors que sur la plage et sur les
premières pentes l'on distinguait une immense tache blanche formée par des
dizaines de milliers de manchots. Malgré le temps incertain, la vedette était
mise à l'eau et une première équipe partait en reconnaissance. Des orques nous
accompagnaient jusqu'à la plage où nous débarquions dans le paysage le plus
triste et le plus poignant qu'il soit possible d'imaginer.
La pluie, la brume rendaient incertaines les limites de
la mer. Tout était blanc, gris et noir. Partout une humidité excessive et un
sol spongieux.
Vestige de l’activité des phoquiers, une grande marmite servant à faire fonder le lard de l’éléphant de mer |
Topographe au travail sur le Mont Branca |
Toute
une faune marine hors l'onde nous entourait, indifférente à notre venue
silencieuse. Il y avait là des dizaines de milliers de manchots royaux, des
éléphants de mer, des pétrels, des skuas, des chionis, bref un véritable zoo
des animaux habituels aux mers froides du Sud.
Ce premier contact avec la
terre était assez mélancolique. La plage de débarquement mesure deux cents
mètres de longueur ; elle est située entre deux hautes rives dont les pentes
disparaissaient dans le brouillard ; c'est un étroit dépôt de sable d'une
quarantaine de mètres de largeur situé dans l'embouchure d'une rivière.
Derrière ce cordon de
sable, le cours de la rivière va d'une rive à l'autre en décrivant des méandres
entre des bancs de graviers pour venir se jeter dans la mer le long de la rive
Nord par un étroit canal creusé dans le sable. Il ne paraissait pas possible de
transporter notre matériel sur les deux rives abruptes et d'un accès peu facile
pour aller s'établir ailleurs que dans cette volière dont l'odeur et le bruit
n'ajoutaient guère à l'aspect des lieux.
A cet endroit, seul un petit
tertre où poussaient des « tussoks » paraissait être à l'abri des eaux de la
mer et de la rivière. Tout autour de nous des ruissellements abondants
ravinaient les pentes ; le problème de l'eau potable ne se posait pas. Pendant notre
reconnaissance, le temps s'était aggravé, empêchant tout débarquement, car il
était impossible de travailler le long du bord. Peu de temps après notre retour
au bateau, la tempête se levait, forçant le navire à appareiller. La journée
fut employée à tourner autour des îles dont les hautes falaises étaient noyées
dans la brume à une faible hauteur au-dessus de la mer. Le navire avançait à
tâtons, radar et sondeur en marche permanente. Dans la soirée, nous mouillions
devant la baie Américaine, autre point de débarquement possible. Dans une
déchirure de brume, la plage apparaissait plus vaste que celle de la baie du
Navire mais la houle brisait fortement et le mouillage était moins abrité.
Derrière la plage, on devinait une large et plate vallée.
Le 21 décembre, au lever du jour,
le navire était de nouveau mouillé devant la baie du Navire. Le temps était
clément, peu de vent, plus de brume, seuls les sommets restaient cachés par les
nuages.
Pendant l'ouverture des cales et
la mise à l'eau des radeaux, l'hélicoptère nous faisait survoler les côtes de
l'île et les abords des deux points de débarquement. La vaste plaine entrevue
la veille derrière la baie américaine se révélait être un vaste marécage bordé
par deux falaises de 250 mètres de hauteur. Une des rivières, qui draine le
marécage, va d'une falaise à l'autre en suivant le bord de mer à quelques
dizaines de mètres avant de se jeter dans l'Océan par un étroit canal, comme à
la baie du Navire. Du point de vue maritime et terrestre, le site était peu propice
à l'établissement d'une base permanente.
Nous revînmes (en quelques minutes par l’hélicoptère) vers la baie du
Navire, trajet qui nous demandera plus tard des heures de marche pénible Les
abords de la baie du Navire se révélèrent plus favorables que ceux de la baie Américaine.
La rive Sud du ravin accédait à un plateau peu accidenté. C'était la seule
partie de l'île au relief tranquille, tout le reste n'étant qu'un chaos de
failles, cratères, falaises, crêtes érodées d'où descendaient des pentes
d'éboulis spectaculaires. Les teintes dominantes étaient le noir, le gris et le
brun rouge.
En accord avec l'Administrateur
Supérieur, je décidai de retenir comme point de débarquement la baie du Navire
et le plateau comme site pour la base permanente. L'accès au plateau étant
impossible avec nos moyens actuels, le camp provisoire serait édifié sur la
plage de débarquement.
Dès notre retour, le débarquement
commençait. L'hélicoptère repartait avec les géographes pour mesurer une base
au telluromètre et effectuer des photos aériennes.
Le débarquement se poursuivit
tout le jour sans grande difficulté. Les déferlements à la plage étaient
faibles mais la houle le long du bord était plus gênante.
Il durera quatre jours pour 42 tonnes.
Le beau temps du 21 décembre se
dégrada vite et le mauvais temps interrompait le débarquement les 22 et 23
décembre. Tout le matériel était à terre le 24 décembre à midi et le navire
appareilla pour les Kerguelen vers dix-huit heures. A ce moment nous disposions
de la moitié de nos baraques dont le montage avait été entrepris pendant le
débarquement avec la large participation volontaire du personnel destiné aux
Kerguelen et à la Nouvelle-Amsterdam.
Paysage de I'lle de la Possession : vue prise du plateau Jeannel vers l'Ouest. |
C'était le soir de Noël. Dans ce
monde froid et lugubre, la teinte vive des baraques mettait une petite note de gaîté.
Nous étions tous fatigués par le dur travail de manutention dans le sable et
quelquefois même dans l'eau ; nos vêtements étaient trempés. Aussi ce soir-là
le souper de conserves fût-il moins apprécié que les couchettes confortables.
Le 25 décembre, le montage du
camp fut achevé. La cuisine-réfectoire complètement installée permit à notre
cuisinier de marquer ce jour de fête par quelques préparations culinaires. Nous
eûmes même la dinde et la bûche traditionnelles offertes par le bateau avant
son départ.
Les 26 et 27 décembre,
installation du matériel radio et météo. La première liaison était établie avec
les Kerguelen le 28 décembre. Le .15r janvier, six jours après le
départ du Gallieni, le camp était
complètement installé, le matériel spécialisé prêt à être utilisé. Chaque
baraque était affectée à une équipe chargée d'une tâche définie. Il y avait la
baraque des naturalistes, celle des géographes, des radios-météos,
l'infirmerie, la cuisine-réfectoire.
Marécage de la vallée des Branloires |
Plage de la baie américaine |
Le Morne Rouge dans la baie américaine |
Le retour du navire était fixé au
5 février. En comptant trois jours pour emballer le matériel à rapatrier et
mettre les installations abandonnées en état de supporter un hiver, la période
de prospection et d'étude allait être de 33 jours.
3 commentaires:
Exaltant comme un roman de Jules Verne...
De vrais aventuriers à une période pas si éloignée de la nôtre.
Merci de nous faire bénéficier de cette lecture!
Bon dimanche
Merci ! Bon dimanche à vous aussi.
Merci pour cette lecture ... c'est vraiment passionnant ... Et qu'elle aventure pour ces pionniers ... Je pense que c'est une période révolue , tout est découvert sur notre planète ...snif... On arrive trop tard !! Bon dimanche
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