samedi 8 juillet 2017

Récit de la 1ère campagne à Crozet (2/3)

Suite du récit d'Alfred FAURE (2/3)
 


C.     Déroulement de la mission.

Le 13 décembre 1961, à 21 heures locales, le m/s Gallieni quittait Tamatave à destination des Crozet ayant à son bord 108 passagers et 2.800 tonnes de matériel à destination des Iles Australes. La navigation s'effectuait par beau temps et sans faits marquants. Trois jours avant l'arrivée aux Crozet, les radeaux pneumatiques de débarquement furent gréés. Chaque radeau était constitué par l'assemblage de deux flotteurs ayant une flottabilité unitaire de 13 tonnes. Le 19 décembre 1961, la zone de convergence hydrologique était franchie, le navire entrait dans les eaux de l'Océan Indien Austral. Le temps devenait brumeux mais il y avait peu de vent et la grande houle des roaries fourties faisait trêve. Vers 21 h. 30, les premiers échos radar étaient obtenus sur l'Ile de la Possession et l'Ile de l'Est.

Dans la nuit et dans la brume, tout l'atterrissage s'effectua au radar et au sondeur ultra-sons. Les hautes falaises des îles réfléchissaient bien le rayonnement radar, tous les détails de la côte étaient visibles sur l'écran. En ces temps où il n'existait pas d'aides modernes à la navigation, la brume aurait retardé l'arrivée et augmenté les risques.

Le 21 décembre, à 9 heures,, nous étions ancrés face à ce que l'on supposait être sur l'écran du radar la baie du Navire, un des meilleurs points de débarquement, sous le vent de l'Ile de la Possession.

Tout était gris, brume ou brouillard, humidité intense et froide. Le vent qui s'était levé rendait les opérations de débarquement tout juste possible. Vers 8 heures, la visibilité s'améliorait et dans une déchirure apparaissait la baie du Navire comme une étroite entaille dans les hautes falaises de la côte ; l'arrière pays et le sommet des falaises restaient noyés de brume. On discernait l'étroite vallée qui se perd dans l'intérieur de l'île, alors que sur la plage et sur les premières pentes l'on distinguait une immense tache blanche formée par des dizaines de milliers de manchots. Malgré le temps incertain, la vedette était mise à l'eau et une première équipe partait en reconnaissance. Des orques nous accompagnaient jusqu'à la plage où nous débarquions dans le paysage le plus triste et le plus poignant qu'il soit possible d'imaginer.

La pluie, la brume rendaient incertaines les limites de la mer. Tout était blanc, gris et noir. Partout une humidité excessive et un sol spongieux.

Vestige de l’activité des phoquiers, une grande marmite servant à faire fonder le lard de l’éléphant de mer

Topographe au travail sur le Mont Branca

Toute une faune marine hors l'onde nous entourait, indifférente à notre venue silencieuse. Il y avait là des dizaines de milliers de manchots royaux, des éléphants de mer, des pétrels, des skuas, des chionis, bref un véritable zoo des animaux habituels aux mers froides du Sud.

Ce premier contact avec la terre était assez mélancolique. La plage de débarquement mesure deux cents mètres de longueur ; elle est située entre deux hautes rives dont les pentes disparaissaient dans le brouillard ; c'est un étroit dépôt de sable d'une quarantaine de mètres de largeur situé dans l'embouchure d'une rivière.

Derrière ce cordon de sable, le cours de la rivière va d'une rive à l'autre en décrivant des méandres entre des bancs de graviers pour venir se jeter dans la mer le long de la rive Nord par un étroit canal creusé dans le sable. Il ne paraissait pas possible de transporter notre matériel sur les deux rives abruptes et d'un accès peu facile pour aller s'établir ailleurs que dans cette volière dont l'odeur et le bruit n'ajoutaient guère à l'aspect des lieux.

A cet endroit, seul un petit tertre où poussaient des « tussoks » paraissait être à l'abri des eaux de la mer et de la rivière. Tout autour de nous des ruissellements abondants ravinaient les pentes ; le problème de l'eau potable ne se posait pas. Pendant notre reconnaissance, le temps s'était aggravé, empêchant tout débarquement, car il était impossible de travailler le long du bord. Peu de temps après notre retour au bateau, la tempête se levait, forçant le navire à appareiller. La journée fut employée à tourner autour des îles dont les hautes falaises étaient noyées dans la brume à une faible hauteur au-dessus de la mer. Le navire avançait à tâtons, radar et sondeur en marche permanente. Dans la soirée, nous mouillions devant la baie Américaine, autre point de débarquement possible. Dans une déchirure de brume, la plage apparaissait plus vaste que celle de la baie du Navire mais la houle brisait fortement et le mouillage était moins abrité. Derrière la plage, on devinait une large et plate vallée.

Le 21 décembre, au lever du jour, le navire était de nouveau mouillé devant la baie du Navire. Le temps était clément, peu de vent, plus de brume, seuls les sommets restaient cachés par les nuages.

Pendant l'ouverture des cales et la mise à l'eau des radeaux, l'hélicoptère nous faisait survoler les côtes de l'île et les abords des deux points de débarquement. La vaste plaine entrevue la veille derrière la baie américaine se révélait être un vaste marécage bordé par deux falaises de 250 mètres de hauteur. Une des rivières, qui draine le marécage, va d'une falaise à l'autre en suivant le bord de mer à quelques dizaines de mètres avant de se jeter dans l'Océan par un étroit canal, comme à la baie du Navire. Du point de vue maritime et terrestre, le site était peu propice à l'établissement d'une base permanente.

Nous revînmes (en quelques minutes par l’hélicoptère) vers la baie du Navire, trajet qui nous demandera plus tard des heures de marche pénible Les abords de la baie du Navire se révélèrent plus favorables que ceux de la baie Américaine. La rive Sud du ravin accédait à un plateau peu accidenté. C'était la seule partie de l'île au relief tranquille, tout le reste n'étant qu'un chaos de failles, cratères, falaises, crêtes érodées d'où descendaient des pentes d'éboulis spectaculaires. Les teintes dominantes étaient le noir, le gris et le brun rouge.

En accord avec l'Administrateur Supérieur, je décidai de retenir comme point de débarquement la baie du Navire et le plateau comme site pour la base permanente. L'accès au plateau étant impossible avec nos moyens actuels, le camp provisoire serait édifié sur la plage de débarquement.

Dès notre retour, le débarquement commençait. L'hélicoptère repartait avec les géographes pour mesurer une base au telluromètre et effectuer des photos aériennes.

Le débarquement se poursuivit tout le jour sans grande difficulté. Les déferlements à la plage étaient faibles mais la houle le long du bord était plus gênante.

Il durera quatre jours pour 42 tonnes.

Le beau temps du 21 décembre se dégrada vite et le mauvais temps interrompait le débarquement les 22 et 23 décembre. Tout le matériel était à terre le 24 décembre à midi et le navire appareilla pour les Kerguelen vers dix-huit heures. A ce moment nous disposions de la moitié de nos baraques dont le montage avait été entrepris pendant le débarquement avec la large participation volontaire du personnel destiné aux Kerguelen et à la Nouvelle-Amsterdam.

Paysage de I'lle de la Possession : vue prise du plateau Jeannel vers l'Ouest.


C'était le soir de Noël. Dans ce monde froid et lugubre, la teinte vive des baraques mettait une petite note de gaîté. Nous étions tous fatigués par le dur travail de manutention dans le sable et quelquefois même dans l'eau ; nos vêtements étaient trempés. Aussi ce soir-là le souper de conserves fût-il moins apprécié que les couchettes confortables.

Le 25 décembre, le montage du camp fut achevé. La cuisine-réfectoire complètement installée permit à notre cuisinier de marquer ce jour de fête par quelques préparations culinaires. Nous eûmes même la dinde et la bûche traditionnelles offertes par le bateau avant son départ.

Les 26 et 27 décembre, installation du matériel radio et météo. La première liaison était établie avec les Kerguelen le 28 décembre. Le .15r janvier, six jours après le départ du Gallieni, le camp était complètement installé, le matériel spécialisé prêt à être utilisé. Chaque baraque était affectée à une équipe chargée d'une tâche définie. Il y avait la baraque des naturalistes, celle des géographes, des radios-météos, l'infirmerie, la cuisine-réfectoire.
 

Marécage de la vallée des Branloires
Plage de la baie américaine

Le Morne Rouge dans la baie américaine

Le retour du navire était fixé au 5 février. En comptant trois jours pour emballer le matériel à rapatrier et mettre les installations abandonnées en état de supporter un hiver, la période de prospection et d'étude allait être de 33 jours.

3 commentaires:

Isabelle 12558 a dit…

Exaltant comme un roman de Jules Verne...
De vrais aventuriers à une période pas si éloignée de la nôtre.
Merci de nous faire bénéficier de cette lecture!
Bon dimanche

DISCRO a dit…

Merci ! Bon dimanche à vous aussi.

Unknown a dit…

Merci pour cette lecture ... c'est vraiment passionnant ... Et qu'elle aventure pour ces pionniers ... Je pense que c'est une période révolue , tout est découvert sur notre planète ...snif... On arrive trop tard !! Bon dimanche