Ce WE, nous vous faisons partager le récit de la 1ère campagne à Crozet, écrit par Alfred FAURE, Chef de cette mission "zéro". Celui-ci était paru dans la revue trimestrielle qu'éditaient les TAAF à l'époque, qui continua à paraître jusqu'au milieu des années 70.
Bonne lecture !
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MISSION DANS L'ARCHIPEL DES CROZET
Installation d'un
Camp provisoire à l’Ile de la Possession
Décembre 1961 - Février 1962
par ALFRED FAURE
Ingénieur
des Travaux de la Météorologie Chef du district des Crozet
(extrait revue trimestrielle TAAF N°19-20 - avril-septembre 1962)
I. APERÇU HISTORIQUE
Durant le XVIIIe siècle, la
découverte du continent austral était la grande affaire des navigateurs
audacieux fondant leurs entreprises sur des hypothèses géographiques ou des
témoignages qui se révélèrent erronés. Ce qu'ils découvrirent devait le plus
souvent les décevoir.
L'existence d'une poignée d'îles
désolées fut la principale découverte d'un de ces voyages entrepris en 1771 par
le marin malouin Marion-Dufresne. Commandant des navires de la Compagnie des Indes,
condamné à une demi-activité par le déclin de celle-ci, Marion-Dufresne se fit
confier une mission pour tenter de découvrir le continent austral.
En décembre 1771, l'expédition
composée de deux navires, le Mascarin et
le Marquis de Castries, quittait les
Mascareignes. A bord du Mascarin, le second
de Marion se nommait Julien Crozet.
Descendant vers le Sud la
flottille fit au début la découverte la plus marquante de la longue croisière
qui allait conduire les navires dans le Pacifique et au cours de laquelle
Marion devait trouver la mort en Nouvelle, Zélande, tué par les indigènes.
Elle eut lieu entre le 13 et le
25 janvier 1772. Dans des eaux froides, brumeuses, tempétueuses, deux groupes
d'îles apparurent successivement. La première terre aperçue fut baptisée par
Marion, Terre de l'Espérance, car il y voyait la promesse du continent
recherché. Sa voisine, une petite île, fut dénommée île de la Caverne (De nos
jours, la Terre de l'Espérance se nomme île Marion. Le nom de son découvreur
lui a été donné par Cook lors de son passage en 1776. L'île Marion et l'île de
la Caverne, devenue île du Prince Edouard, sont aujourd'hui des possessions
sud-africaines.).
A 800 milles dans l'Est, un
second groupe fut appelé par Marion [les froides, en raison des glaces
dérivantes rencontrées dans leurs eaux. Crozet en prit possession au nom du roi
de France en mettant pied à terre sur la plus grande d'entre elles qui reçut
pour cela le nom d'île de la Possession.
Dans sa relation de voyage,
Crozet est assez laconique sur sa découverte. Pour qui recherchait un continent
supposé riche, ces îles désertiques, au climat inclément, devaient être assez
décevantes.
Pendant le siècle qui suivit la
découverte, l'Archipel fut surtout fréquenté par des baleiniers et des
phoquiers, principalement américains. Les seules richesses des Iles, les
troupeaux d'éléphants de mer et les innombrables manchots, furent exploitées
sans ménagements jusqu'à la presque totale disparition des espèces animales
chassées.
Les côtes inhospitalières,
battues par des eaux souvent furieuses, furent le théâtre de nombreux
naufrages. Les rescapés vécurent dans des conditions de dénuement incroyables,
certains profitèrent cependant de leur séjour pour recueillir des observations
intéressantes sur les lieux de leur retraite, ainsi qu'en témoigne le récit du
sieur Lesquain présenté ci-après (p. 40) par le Colonel Milon. La frégate L'Héroïne fut chargée en 1837 d'assister
les baleiniers français dans ces parages. Elle permit de réaffirmer la
souveraineté française sur l'Archipel.
Il faudra le naufrage sur un
récif au large de l'Ile aux Cochons, en 1887, du trois-mâts Tamaris (Voir Revue no 12. bibliographie
: « Le novice du Tamaris » - Dar Yves Le Scal.), de Bordeaux, pour qu'à nouveau les Crozet soient visitées par un
navire de guerre français. Pendant ses recherches, ce bâtiment, l'aviso La Meurthe, accomplit un travail
hydrographique qui jusqu'à nos jours a servi de base à la carte marine de
l'archipel.
Ainsi que l'avait fait Cook en
1776, Ross devait également toucher les Crozet en 1839.
Au début du XXe siècle, le déclin
de la pêche à la baleine rendit ces îles à leur solitude première. A peine
peut-on citer au cours des cinquante premières années les brèves apparitions de
l'expédition allemande de Gauss en 1901 et des navires de guerre français, l'Antarès en 1931 et le Bougainville en 1938.
Cette époque est révolue. Depuis
les dix dernières années, le grand effort accompli internationalement pour
pénétrer les secrets et connaître les ressources des régions encore mal connues
de l'hémisphère austral s'est étendu aux îles subantarctiques et devait gagner
les Iles Crozet.
Celles-ci, séparées les unes des
autres par de grandes étendues marines, présentent un intérêt essentiel pour la
prévision du temps. Déjà des postes météo ont été installés aux Iles du Prince
Edouard, Marion, Kerguelen et Nouvelle-Amsterdam ; seul manquait un maillon de
la chaîne, celui des lies Crozet. Il est sur le point d'être mis en place.
Sans insister sur le passage très
rapide, en 1950, de l'aviso Lapérouse, il
convient de signaler la reconnaissance de trois jours effectuée en novembre
1957 par la mission du colonel Genty. Organisée par les TAAF et le C.A.S.D.N.,
elle avait pour but d'établir, si possible, une première carte des îles
principales Possession et Ile des Cochons, ainsi que de rechercher un point de débarquement
et un lieu d'établissement du futur poste météo. Disposant d'un hélicoptère
Djinn opérant à partir du S/S Gallieni, navire
des Messageries Maritimes, elle put prendre une série de photos aériennes, mais
ne pur achever son travail en raison du mauvais temps. Les résultats ont été
exposés par le Colonel Genty dans son ouvrage « Etude sur l'Archipel des
Crozet ».
La première relation d'une visite
dans l'intérieur de l'Ile de la Possession fut celle du navigateur britannique
Tilman. Venu d'Angleterre en 1959 à bord de son cutter le Mischief, il recueillit des observations météorologiques et de
biologie animale et végétale (Voir revue TAAF N. 14, pages 52 et suivantes.).
II. MISSION A L' ILE DE LA POSSESSION Eté austral 1961-62
Lorsque la décision fut prise
d'ouvrir un établissement permanent aux îles Crozet, dernier district du
Territoire des T.A.A.F. encore inoccupé, il y avait tellement de lacunes dans
les renseignements nécessaires à une telle installation qu'il apparut vite indispensable
de recourir à une mission préparatoire.
La méthode consistant à prendre
une connaissance géographique complète de l'archipel avant toute recherche
d'implantation à terre, eut demandé le séjour dans ces parages d'un navire
équipé d'hélicoptères pendant un mois au moins. Ce qui eut été relativement
très onéreux et hors des moyens financiers du Territoire.
Une formule moins coûteuse fut
retenue. Elle consistait à fixer son choix sur une des îles principales en
fonction des renseignements sûrs disponibles. Une équipe devait être déposée à
terre et chargée d'une prospection complète entre deux passages de bateaux
séparés de quelques semaines. Les frais de transport devaient être des plus
réduits, s'agissant d'un simple déroutement du navire effectuant la relève des
Iles Kerguelen.
Salut aux couleurs à l’Ile de la
Possession
|
L'occasion de procéder ainsi se
présenta pendant l'été austral 1961-1962. D'importantes expériences
scientifiques aux Kerguelen exigeaient deux voyages du navire ravitailleur
qu'il fut possible de dérouter par les Crozet.
Le programme des rotations permettait d'envisager un
séjour de six semaines.
A. Programme de la mission.
En se limitant à la connaissance d'une île, le programme
suivant pouvait être suivi :
§ 2 météorologistes
§ 2 géographes
§ 2 naturalistes
§ 1 docteur
§ 2 aides-géographes
§ 1 radio
§ 1 mécanicien
§ 1 cuisinier
§ 1 marin
L'Ile de la Possession fut donc
choisie comme champ d'action de la mission. Le critère déterminant ne fut pas
sa plus grande superficie mais le fait qu'on lui connaissait les meilleurs
mouillages et points de débarquement de tout l'archipel..
B. Moyens généraux.
Les moyens généraux devaient
permettre la vie et le travail pendant cinquante jours avec stock de sécurité
pour cent jours. Dans le .choix des membres de la mission,
l'aptitude à la vie et au travail dans des conditions de survie n'avait tenu
qu'une place secondaire, il fallait que l'infrastructure permît l'existence
dans des conditions aussi normales que possible malgré le milieu rude.
La grande manchotière à la Crique du Marin |
La mise en place des moyens
généraux devait être très rapide, aussi rapide que celle d'un camp volant, bien
que le matériel mis en œuvre fût important. Abriter personnel et matériel est
la fonction principale de l'infrastructure en
milieu hostile. Aux Crozet, la protection contre la pluie et le vent devait
être très bonne. Les tentes furent donc éliminées, et l'absence de
renseignements précis sur la nature du terrain fit abandonner le choix d'abris
mobiles du type caravane de camping.
Des baraques démontables
métalliques furent retenues. Elles se composaient d'éléments interchangeables
entre eux dont le faible poids autorisait le transport et la manutention sans
moyens mécaniques. Le montage très rapide ne demandait que quatre heures de
travail à quatre hommes non spécialisés. Aucune préparation soignée du terrain
n'était nécessaire, les planchers
montés sur vérins compensaient les dénivellations et les isolaient du sol
humide.
Les baraques étaient montées sur vérins |
Site de la base permanente : au fond le Mont Branca |
La totalité du matériel et des
approvisionnements représentait un tonnage de 42 tonnes et un volume de 150 m3.
L'infrastructure générale fut fournie par les T.A.A.F., le matériel technique
ou scientifique spécialisé fut prêté par les organismes officiels intéressés à
la mission : Météorologie Nationale, Institut Géographique National, Ecole
Normale Supérieure, Service des Transmissions de l'Armée. La mise en place de
l'infrastructure ne devait pas excéder 5 jours. Ceci afin de laisser une
période d'exploitation suffisamment longue.
2 commentaires:
Vraiment TRÈS intéressant ! Vivement la suite...
Merci
Bon week end.
Isa
Merci ! C'est effectivement là toute une tranche d'histoire, que nous lisons tous avec grand plaisir.
Bon WE à vous également.
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