Pourquoi les poireaux sont bannis de Crozet
Une question qui a suscité bien des débats au sein de la base. Quelques éléments de réponse ...
La base Alfred Faure est approvisionnée en nourriture
par le Marion Dufresne plusieurs fois par an. Outre la relève régulière des
personnels, ces ravitaillements constituent un des objectifs majeurs des rotations
« TAAF » du MarDuf. C’est avec impatience et une certaine anxiété que les
locataires du district attendent le débarquement de produits frais, après
plusieurs mois de consommation de denrées congelées ou en conserve. Mais
l’importation de fruits et légumes « exotiques » aux Îles Crozet
n’est pas sans risque.
Les ravitaillements constituent en effet une des
sources avérées d’introduction d’espèces allochtones, c’est-à-dire totalement
étrangères à l’écosystème local. Depuis les années 60 nombre d’études ont été
réalisées sur le sujet. Une des plus récentes, en 2011 (Hugues et al. 2011), a
permis de souligner les risques invasifs que représentent les fruits et légumes
pour les milieux subantarctiques très fragiles.
Ces risques sont bien réels et non rien de purement
théoriques. Qu’elles concernent des invertébrés, des graines, des champignons
ou des microbes, les observations d’introduction de nouvelles espèces ont
régulièrement été faites dans le passé. La Réserve Naturelle des Terres
Australes Françaises s’est donc fixé un objectif de prévention contre les
risques d’introduction et de dispersion des espèces exogènes. Depuis 2010, des
mesures de biosécurité ont été définies et mises en œuvre. Elles concernent
d’abord tous les personnels ou touristes débarquant du Marion Dufresne qui
doivent décontaminer leurs vêtements et leur équipement dans des « sas de
biosécurité » à bord et dès leur arrivée sur la base Albert Faure. De
façon moins spectaculaire les mesures de biosécurité se traduisent par la
définition de cahiers des charges stricts en matière d’approvisionnement de denrées
fraiches : les produits et les contenants doivent être nettoyés de tout
organisme, terre et poussière avant leur embarquement. Des protocoles
similaires s’appliquent par ailleurs aux autres types de marchandises
transportées sur le Marion Dufresne.
En complément des procédures pré-débarquement, les
agents de la réserve sur le terrain procèdent à des inspections systématiques
des fruits et légumes livrés. Cette action de contrôle permet d’évaluer
l’efficacité des procédures de décontamination et peu éventuellement se
traduire par l’interdiction d’importer certains produits s’ils constituent de
potentielles menaces d’invasion. Ce fut encore le cas récemment : le
poireau a ainsi été banni des Australes du fait de sa propension à transporter
des organismes exogènes entre ses feuilles.
Ces mesures vous semblent excessives ? Jugez-en
plutôt à la lecture du compte rendu des contrôles de produits frais (dite
« Manip Aliens ») au lendemain de la dernière opération portuaire du
Marion Dufresne (août 2017). Signe de l’importance du sujet, une bonne partie
de l’équipe d’hivernants a accompagné France Mercier, notre agent de la
Réserve, et Benjamin Ferlay (programme Ipev 136) dans cette opération longue et parfois fastidieuse.
Cet article vous permettra également de juger de la
richesse du régime alimentaire des crozétiens. Les plus férus d'histoire
maritime pourront ainsi constater que les risques de scorbut sont désormais
écartés et que le fameux chou de Kerguelen que nous retrouvons sur l'Île de la
Possession n'a plus rien à craindre pour ce qui est de nourrir les îliens...
C'est un espèce protégée du reste !
La Manip Aliens en images
Un risque qui n'a rien de théorique 1/2 : un indice de la variété des espèces retrouvées lors de la Manip.
Un risque qui n'a rien de théorique 2/2 : un indice de la matérialité du risque, même avec toute la rigueur des protocoles qui prévaut lors des embarquements
Compte rendu d’inspection des produits frais par France Mercier, agent de la Réserve Naturelle, le 20 août 2017
Le Marion Dufresne est parti de la Réunion le 11 août. Les produits ont été
débarqués le 16 août sur la base Alfred Faure, soit cinq jours de transit.
Trente et un produits (variétés de fruits et légumes) ont été inspectés. La
Manip a duré six heures.
Pour les tomates, nous avons retrouvé :
- Des invertébrés morts : 1 hyménoptère, 5 diptères, 4 fourmis, 3 mouches, 2 insectes ou mue.
- Des extraits végétaux : une graine.
Pour les concombres :
- Des invertébrés morts : 3 œufs d’insecte et 4 fourmis.
Pour les courgettes :
- Des invertébrés vivants : un collembole et une chenille.
- Des invertébrés morts : une chenille, un staphylin, un acarien, un diptère, une fourmi et un hyménoptère.
- Des extraits végétaux : 2 graines.
- Moisissures sur 2 légumes sur 116 (entre 1 et 25%).
Pour les aubergines :
- Des invertébrés morts : 26 cochenilles, 2 diptères, un coléoptère et une fourmi.
- Des extraits végétaux : 2 graines.
- Moisissures de 3 légumes sur 45 (entre 1 et 25%).
Pour les chouchous :
- Des invertébrés vivants : un coléoptère (Ptinus).
- Des invertébrés morts : 1 cochenille, 2 fourmis et une araignée.
- Des extraits végétaux : une graine.
Pour les poivrons (rouges et verts) :
- Des invertébrés morts : environ 200 fourmis dans le fond de la caisse, 6 pucerons, 3 staphylins, 2 coléoptères, une araignée, un collembole et une cochenille
- Des extraits végétaux : une graine.
Pour les courges :
- Des invertébrés morts : une mouche.
Pour les navets :
- Des invertébrés vivants : un myriapode et un ver.
- Des invertébrés morts : 6 fourmis, un diptère et 2 pucerons.
- Des extraits végétaux : 8 graines.
Pour les avocats :
- Des invertébrés vivants : 4 collemboles.
- Des invertébrés morts : 2 fourmis.
Pour les ananas :
- Des invertébrés vivants : 15 collemboles, 2 fourmis, 2 araignées et un diptère.
- Des invertébrés morts : 16 fourmis, 8 perce-oreille, 2 araignées et une cochenille.
- Des extraits végétaux : une graine.
Pour les abricots :
- Des invertébrés morts : un hyménoptère, une fourmi.
- Des extraits végétaux : 7 graines.
- Moisissures de 3 fruits sur 100 (entre 1 et 25%).
Pour les combawas :
- Des invertébrés morts : 2 cochenilles et une fourmi.
Pour les kiwis :
- Moisissures de 4 fruits sur 100 (entre 1 et 25%).
Pour les pommes :
- Moisissures de 20 fruits sur 100 (entre 1 et 25%) – autour du pédoncule.
Pour les mandarines :
- Moisissures de 7 fruits sur 100 (entre 1 et 25%).
Pour les clémentines :
- Moisissures de 3 fruits sur 100 (entre 1 et 25%).
Pour les nectarines :
- Moisissures de 4 fruits (entre 1 et 25%) et de 10 fruits (entre 50 et 75%) sur 100, lié à un choc sur une cagette.
5 commentaires:
C'est impressionnant !!!! On connaissait l'histoire des cochons .. Des vaches sur Amsterdam .. Bref du visible, mais là c'est dingue ... Que de dégâts occasionnés depuis les annees 50 par la faute de l'homme dans les TAAF .. Plus loin dans la réflexion : Pour qui nous prenons nous ? C'est nous les nuisibles .. Non ?
Merci pour article , digne héritier de votre prédécesseur .. Bien à vous .
Bon appétit bien sûr. ......
Un peu de protéines et un peu de micelium.....c'est bon pour la santé!
Et au niveaux des produits locaux, en dehors des agneaux, qu'est ce que l'on s'autorise à manger ? Poisson, fruits de mer, algues ? Certaines algues contiennent des vitamines C, en as t on trouvé sur côtes des îles crozet ?
Le district de Crozet fait partie intégrante de la Réserve Naturelle des Terres Australes Françaises. Toutes les espèces autochtones sont scrupuleusement protégées quelles soient animales ou végétales. Nous ne consommons donc aucune plante, aucun poisson, aucun crustacé ou aucun animal qui serait prélevé sur place. Les seules consommations "locales" possibles seraient donc les espèces introduite ; or nous essayons de les limiter au maximum. La seule exception à ce jour concerne les truites (espèce introduite dans nos rivières il y a une trentaine d'années). La truite étant le seul poisson d'eau douce de l'archipel, une pratique de loisir de la pêche en rivière est autorisée et la consommation des prises l'est aussi.
Crozet est sans doute le district le plus préservé du fait de l'implantation tardive de la base par rapport à Amsterdam ou Kerguelen. Nous avons donc appris des expériences de nos soeurs des Australes et l'Île de la Possession n'a pas eu d'introduction de vaches, moutons, mouflons, rênes, et autres lapins ou chats. Malheureusement seul le rat a réussi à s'y implanter durablement... et nous ne le mangeons pas !
Rien à voir mais ça me désespérait qu'ils n'envoient pas de citron vert...
Enfin, on en avait eu à une OP, je n'ai jamais compris pourquoi cette exception lol
Comment on fait les pti punch les gars ? On vit sur une île pendant une année, un petit effort....
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