mardi 15 mars 2022

LA CARTOGRAPHIE DES HABITATS (par Sébastien Traclet, agent de la Réserve Naturelle)

Depuis quelques semaines et jusqu’au début de l’hiver qui marquera la fin de la saison d’un point de vue botanique (mi-avril), un gros protocole occupe Sébastien, l’agent flore-habitat de la Réserve : la cartographie des habitats ! Ce protocole est en lien avec le projet Cartovege qui implique le projet IPEV-136 'SUBANTECO', la RNN des Terres australes françaises et l'UMS PatriNat (https://www.spaceclimateobservatory.org/fr/cartovege).

 

L’agent flore-habitat en plein travail de cartographie à Baie Américaine © Eloise Martin

 

Un habi-quoi ?

Un habitat est défini par l’ensemble des plantes qui poussent côte à côte selon des facteurs environnementaux spécifiques : l’humidité, la pente, le sol, l’exposition au vent, la proximité au littoral (sel), ou encore la présence de faune. En effet, on ne retrouvera pas les mêmes plantes selon que l’on se trouve sur le littoral, là où se reposent les éléphants de mer (habitat enrichi soumis aux embruns), ou au fond d’une vallée (habitat de zone humide comme les tourbières), ou encore au sommet d’un plateau rocailleux (habitat minéral très pauvre en végétation). L’ensemble de ces habitats est décrit pour former une liste qu’on appelle une typologie des habitats, qui sert de référence pour la cartographie.

 

Mais concrètement, on fait comment ?

L’objectif est de réaliser la cartographie sur un ensemble de sites censés représenter l’intégralité des habitats que l’on peut retrouver sur l’île de la Possession. Au total, 1200 hectares doivent être cartographiés sur toute l’île : de la Pointe Max Douget à celle de Bougainville, la vallée des Géants qui abrite la cabane de La Pérouse, la Grande Coulée de Pointe-Basse et le littoral de la Baie Américaine.




 

 

 

Les zones à cartographier (en rouge) sur l’île de la Possession. © IGN (fond de carte)

 

L’agent parcourt donc l’ensemble de ces sites afin de délimiter les habitats qu’il rencontre. Chaque habitat rencontré doit être décrit pour intégrer la typologie ; pour cela on réalise ce que l’on appelle un relevé phytosociologique. Ce relevé consiste à noter l’intégralité des facteurs environnementaux de l’habitat ainsi que le cortège floristiques présent, y compris les mousses qui, à Crozet, sont déterminantes dans certains habitats, et la surface qu’occupe chaque espèce dans l’habitat.














Trois habitats complètement différent dominés par les mousses © Sébastien Traclet

 

Une fois l’habitat identifié, l’agent dessine sur une photographie aérienne préalablement imprimée une forme géométrique (une « patate ») correspondant aux limites de l’habitat : en général, les différents habitats présentent une couleur différente sur les photographies aériennes. L’ensemble de ces patates seront ensuite retranscrites manuellement sur ordinateur afin de réalisé la carte finale. Cette carte servira de référence dans le futur pour étendre de façon automatique la cartographie sur l’ensemble de l’île par télédétection.

La méthode de télédétection consiste à utiliser le spectre infrarouge d’images satellites pour classer et discriminer les différents types de végétation. Le principe est assez simple : chaque pixel de l’image possède une couleur particulière et à chaque couleur correspond un type de végétation. Dans le cas particulier des Terres australes françaises, la télédétection présente de nombreux avantages. Elle permet en effet de travailler sur de larges échelles, d’acquérir des connaissances sur des secteurs et îles inaccessibles et de réduire la fréquentation et les impacts associés sur les sites préservés.

 

Une partie du secteur de la Baie Américaine cartographiée. Chaque couleur des formes géométriques représente un habitat différent. Sur le reste de la photographie aérienne, on peut distinguer la variété d’habitats différents présents (nuance de couleur) © Réserve Naturelle Nationale des Terres australes

 

Mais à quoi ça sert me direz-vous ?

Tout d’abord, cela permet d’améliorer les connaissances sur les territoires des Terres australes et s’inscrit donc pleinement dans le second plan de gestion de la RNN des Terres australes françaises.

La carte réalisée devient alors un outil de gestion important : on peut ainsi estimer la surface qu’occupe certains habitats natifs ou patrimoniaux, la surface des habitats dégradés ou en mauvais état de conservation, en déduire les zones de présence d’espèces patrimoniales comme le Chou de Kerguelen inféodé à un certain type d’habitat ou encore d’estimer les zones de nidification de certaines espèces animales, comme les pétrels à menton blanc qui affectionne un habitat particulier sur l’île.

 Sur le long terme, cela nous permet de suivre l’évolution du paysage face aux invasions biologiques ou au réchauffement climatique. La cartographie réalisée étant une représentation à un instant t des paysages, elle sera régulièrement mise à jour et permettra de voir l’évolution des habitats dans le temps.

C’est donc un gros travail de terrain, puis de bureau, mais qui a l’avantage de faire (re)découvrir chaque jour notre île sous de nouveaux points de vu.

Le lac sans nom dominant la vallée des Branloires depuis le Morne rouge © Sebastien Traclet

 

 

Le Morne Rouge et la petite Manchotière vu depuis le rocher « Légo » © Sébastien Traclet

 

Les falaises de la Pointe Lieutard © Sébastien Traclet