La réserve naturelle nationale des Terres australes
françaises héberge les plus importantes concentrations d’oiseaux marins au
monde. L’île aux Cochons, une des cinq îles de l’archipel Crozet, abritait une
colonie de manchots royaux rassemblant près de 500 000 couples en 1988, la
plus grande colonie au monde pour cette espèce. Les derniers comptages
effectués par le CNRS de Chizé (Weimerskirch et al, 2018) ont montré une
diminution d’environ 88% de cette colonie en 35 ans. Dans ce contexte, les TAAF
se sont engagées, en tant que gestionnaire de la Réserve naturelle, à mettre en
œuvre une unique mission de terrain dans le but d’étudier les différentes
hypothèses qui pourraient être à l’origine du déclin de la population de
manchot royal de l’île aux Cochons.
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La colonie de manchots royaux de l'île aux cochons |
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L'équipe scientifique à bord du Marion Dufresne |
La rotation logistique du Marion Dufresne en novembre
(OP3), période pendant laquelle les manchots à différents stades de la
reproduction peuvent être étudiés, a été choisie pour déployer une équipe sur
le terrain pendant cinq jours. L’équipe était composée de six personnes de la
Réserve naturelle, du Centre d’études biologiques de Chizé (CNRS-Université de
La Rochelle) et du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive
(CNRS-Université de Montpellier-EPHE-IRD).
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Le camp temporaire établi à proximité de la colonie étudiée |
Classée en Zone de protection
intégrale, l’île aux Cochons n’a plus été étudiée à terre depuis 1982. Avant
d’accéder sur ce site hautement préservé, toutes les mesures ont été prises
pour garantir l’absence d’impacts sur les espèces et les milieux. En
particulier, du matériel neuf (vêtements, toiles de tente, bottes, etc.) a été
acheté spécifiquement pour la mission et la biosécurité des équipements a été
réalisée avant l’accès à l’île et au retour sur le Marion Dufresne afin
d’éviter l’introduction et le transport d’espèces exotiques. Les bonnes conditions météorologiques ont permis de
déposer et récupérer l’équipe et les 700 kg de matériel, eau et nourriture, par
hélicoptère, du 15 au 20 novembre 2019. Un camp léger de quatre tentes a été
installé à proximité de la colonie d’étude. Pendant cinq jours complets, les
six membres de la mission ont travaillé par binôme pour répondre aux
différentes hypothèses.
Parmi ces hypothèses figurent celle de la
raréfaction des zones d’alimentation des manchots royaux ou la dégradation de
l’accessibilité des proies, pouvant être à l’origine d’un mauvais succès
reproducteur. Dix balises Argos ont été posées sur des adultes en début et fin
de cycle. Après deux semaines en mer, les premiers résultats montrent que ces
oiseaux se dirigent aussi bien vers le sud, au niveau du front subantarctique
au nord que le front polaire au sud pour s’alimenter (cf carte ci-dessous).
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Suivi des déplacements des manchots ayant été équipés d'une balise Argos |
Cette première observation contraste avec les
connaissances sur la population de l’île de la Possession, autre site
d’importance pour la reproduction de l’espèce à Crozet, pour laquelle les
oiseaux ne vont s’alimenter que vers le front polaire. Ce résultat sur quelques
individus sera prochainement comparé aux analyses des isotopes du sang et des
plumes d’un plus grand nombre d’individus et de différentes classes d’âge, afin
de vérifier si ce comportement est répandu dans cette population. Il sera
également comparé aux mêmes suivis réalisés en parallèle sur la Possession.
Par ailleurs, la présence d’un agent pathogène sur
l’île aux Cochons infectant régulièrement les manchots royaux pourrait
provoquer une mortalité massive des poussins et/ou des adultes. Les premières
observations dans la colonie n’ont pas révélé de mortalité massive. Toutefois,
un ensemble de prélèvements ont été réalisés afin de vérifier en laboratoire la
présence d’agents infectieux dans la population de manchot royal et dans les
populations d’oiseaux nécrophages présents sur l’île aux Cochons. Ces résultats
seront comparés à ceux d’autres sites dans les Terres australes françaises et
sur d’autres îles subantarctiques.
Enfin, trois espèces animales introduites
sont présentes sur l’île aux Cochons, le lapin, le chat et la souris. Alors
qu’aucune trace de lapin n’a été observée au cours de la mission, les deux
autres espèces sont bien présentes autour de la colonie avec plusieurs
observations directes ou à l’aide des dix pièges photographiques employés. Un
comportement de prédation de chat et/ou de souris sur les poussins de manchot
royal aurait pu apparaitre sur l’île aux Cochons. Aucune trace anormale n’a été
observée sur les poussins suggérant une morsure par l’une des deux espèces. Des
fèces de chat ont été collectées afin d’étudier leur régime alimentaire.
L’observation nocturne à l’aide de jumelles thermiques infrarouge n’a pas
permis de détecter de cas de prédation du chat sur des manchots royaux mais
elle a cependant révélé un comportement de prédation important sur une autre
espèce, le prion de Salvin, localement présent en forte densité sur l’île. Le
piégeage des souris a montré leur présence à proximité de la colonie et
l’analyse des prises de sang et des écouvillons réalisés permettra de vérifier
leur rôle éventuel de réservoir pour un agent pathogène.
Tout en respectant des consignes strictes d’évitement des impacts, on peut
supposer que le succès de cette mission sur l’île aux Cochons, apportera très
prochainement des pistes de réponses aux raisons de la diminution de la
première colonie au monde de manchot royal, espèce clé de l’inscription
des Terres et mers australes françaises sur la Liste du patrimoine mondial de
l’UNESCO.
Rédaction: Adrien Chaigne
Photos d'A. Chaigne et B. Lachat