jeudi 28 mai 2020

Et la flore alors? Présentation du protocole ATLAS

Quand on pense Terres australes françaises, on pense bien souvent aux Albatros hurleurs, aux Manchots royaux ou encore aux Eléphants de mer. Mais si l’on regarde plus près du sol, une végétation silencieuse, timide recouvre l’île d’un manteau verdoyant puis brunâtre en fin d’été austral.

Coussin d'Azorelle colonisé par de l'Agrostis
magellanica
Avez-vous déjà entendu parler de l’Azorelle (Azorella selago)? Une plante native des terres subantarctiques qui met deux cents ans pour atteindre un mètre de diamètre, une croissance très lente dans des milieux hostiles soumis aux aléas environnementaux et au stress hydrique. L’Azorelle pousse en coussin, stratégie de croissance qui lui permet de retenir l’eau, de lutter contre l’érosion provoqué par le vent et d’augmenter sa température.
Imaginez-vous sans aucune possibilité de vous déplacer pour aller chercher ce qu’il vous faut pour vous nourrir… L’Azorelle réussi à pousser sur ses parties mortes, optimisant la matière organique disponible.

Le plus connu semble être le Choux de Kerguelen, ce dernier malgré son nom est bien présent à Crozet. Autrefois les marins l’utilisaient pour lutter contre le Scorbut ce qui lui vaut le nom de Pringlea antiscorbutica. Ses propriétés médicinales spécifiques à cette maladie ne sont cependant pas avérées.
Chou de Kerguelen en fructification
Cette espèce est endémique de quelques îles subantarctiques de l’océan Indien Austral : îles Kerguelen, Heard, Crozet et Marion (Lourteig et Cour, 1963). Ce qui veut dire que son aire de répartition est limitée à ces territoires. 
Pringlea antiscorbutica  colonise "des gammes de milieux variés sur différents substrat allant du littoral exposé aux embruns, jusqu’aux zones d’altitude sur sol minéral. A Crozet, on le trouve depuis le niveau de la mer et jusqu’à 750 mètres d’altitude" (Badenhausser, Chambrin, Le bouvier, 2019). 

Milieu colonisé par des graminées introduites
On observe donc une végétation native à croissance lente, peu compétitrice soumise à rude épreuve avec la présence d’espèces introduites, plus compétitrices qui colonisent puis uniformisent et appauvrissent les écosystèmes terrestres austraux.
Pour vous donner une idée, sur l’île de la possession on dénombre 18 espèces natives et 63 espèces introduites (Stratégie de lutte relative aux espèces exotiques végétales des Terres australes françaises 2018-2027, Réserve naturelle des Terres australes Françaises). 

Pour en savoir un peu plus sur la répartition des espèces végétales, qu’elles soient natives ou introduites, et sur les différents habitats de l’île de la Possession, un Atlas de la flore a donc été initié par la Réserve Naturelle des Terres Australes Françaises.

A Crozet, ce protocole standardisé a débuté en 2013 et s’est achevé cette année. Ce programme permet de répondre à l’objectif à long terme du second plan de gestion de la réserve : préserver le bon état écologique des écosystèmes terrestres austraux  en renforçant les connaissances sur les espèces et les écosystèmes dans le périmètre de la réserve.

Mais concrètement qu’est-ce qu’on veut savoir ?
Ce protocole standardisé consiste à inventorier les espèces végétales au sein d’un maillage de 500 mètres sur 500 mètres, couvrant la totalité de l’île, soit 675 mailles. Chaque maille porte un code unique.
Il aura fallu 7 ans de prospection pour couvrir les 150 km2 de l’île.

Pour chaque maille, on effectue un relevé par habitat dominant. Il est donc possible d’effectuer plusieurs relevés au sein d’une même maille. On veille à dresser la liste complète des espèces végétales natives et introduites présentes dans la surface du relevé (souvent un quadra de 10 mètres sur 10 mètres).

Par exemple, la photo ci-dessous nous montre un habitat de fell fiel mésique, que l’on rencontre souvent sur l’île de la Possession.  ''Les complexes de fell field sont des habitats souvent exposés ou l’action du vent et de certaines caractéristiques pédologiques (faible rétention d’eau, faible teneur en matière organique, érosion) limite le développement des plantes vasculaires'' (Huntley, 1971).

Habitat de fell field mésique

Habitat tourbeux humide colonisé par des espèces
natives sur le site de la Grande coulée


Communauté ouverte à Acaena
magellanica, espèce native



Pour se faire, on complète une fiche terrain sur laquelle, en plus du relevé de végétation, figurent les paramètres environnementaux du milieu à savoir la topographie, la surface du sol, la présence ou non de vertébrés, le gradient d’humidité.

La prospection des mailles se fait pendant la floraison, au moment où l’on peut identifier correctement les végétaux, soit pendant l’été austral.

Au sommet du Mascarin, une maille inaccessible
perdue dans le brouillard

Qu’est-ce que cela donne sur le terrain?

 

Sur ces sept années, ce sont 8 campagnard.e.s d’été et hivernant.e.s qui ont inventorié 566 mailles (mailles inaccessibles non incluses):
2013-2014 : Mathilde Fontaine
2014-2015 : Suzanne Liegre
2015-2016 : Pierre Thevenin
2016-2017 : France Mercier & Louise Boulangeat
2017-2018 : Cassandra Delamare
2018-2019 : Pierre Agnola
2019-2020 : Pauline Le Hyaric

Un premier janvier 2020 au Cap Vertical

Ces prospections n’auraient pu se faire sans la présence à leur côté des manipeurs et manipeuses qui affrontent les éléments et marchent des heures de façon à prospecter au mieux les mailles. Merci à celles et ceux qui ont limé leurs bottes et participé à améliorer la connaissance du patrimoine naturel de l’île de la Possession!



Vers la Crête de l'Alouette depuis la Baie américaine

Sur un plateau tourbeux en vallée
de la Hébé

A terme, toutes ces données figureront dans un Atlas floristique. En ayant une lecture plus précise des différents habitats de l’île de la Possession et une connaissance affinée de la répartition des espèces végétales natives et introduites, les agents de la Réserve naturelle et les scientifiques peuvent orienter des mesures de gestion de façon à préserver le caractère sauvage et fonctionnel de ces écosystèmes uniques.

Rédaction et photos: Pauline Le Hyaric (Agent RN)
Merci à elle pour cet article!

Vue sur la pointe des Moines depuis un site isolé très préservé

mercredi 13 mai 2020

La reproduction des manchots royaux : l’émancipation du poussin et les crèches (5/6)

Quelques semaines après sa naissance (la durée étant différente selon les poussins et peut également être affectée par la météo), le poussin s’émancipe thermiquement de son parent, ce qui signifie qu’il n’a plus besoin de rester tout le temps sous la poche incubatrice de celui-ci. Il reste alors à ses côtés, les deux parents continuant de se relayer auprès de lui et de le nourrir très fréquemment. A l’âge d’environ un mois et après une première phase de croissance rapide, les parents commencent à le laisser seul sur la plage alors qu’ils repartent en mer pour chercher de la nourriture pour eux-mêmes et pour leur progéniture. 

Nourrissage du poussin par son parent.
La nourriture est conservée non digérée dans l'estomac de l'adulte en vue du nourrissage.

Pétrel géant au milieu de la manchotière
Laissés seuls, les poussins se rassemblent alors, petit à petit, en ''crèches'' : ils se regroupent en petit nombre tout d’abord mais celui-ci aura tendance à grandir au fil des mois, une crèche pouvant atteindre plusieurs milliers d’individus. Ce système leur permet de se tenir chaud et de mieux faire face aux aléas climatiques mais également d’être moins exposés aux prédateurs tels que les pétrels géants. Ces oiseaux restent en effet à l’affut des individus les plus faibles et essaient de les repérer en traversant les crèches afin de provoquer un éclatement de celles-ci. Il y ainsi un taux important de pertes, surtout dans la période où les poussins sont les plus jeunes. 

Crèche de poussins début mai sur la plage de la BdM
Crèche de poussins en octobre 2019 sur la plage de la BdM

Au fil des semaines, les parents vont peu à peu les nourrir moins fréquemment du fait  de l’éloignement de la ressource alimentaire. Entre temps, les poussins ont pris beaucoup de poids afin de leur permettre de rester de longues périodes sans être nourri. Un poussin pèse en moyenne 230 grammes à sa naissance et peut gagner jusqu’à onze kilos durant ses trois premiers mois d’existence où ses parents l’alimentent très régulièrement. Durant l’hiver austral, il pourra perdre jusqu’à 50% de son poids. 

En ce mois de mai, les premières crèches se forment dans les différentes manchotières de l’île de la Possession même si l’on y voit encore de nombreux manchots adultes. Bientôt, ceux-ci seront de moins en moins visibles, partant sur de longues distances en mer pour se nourrir. La prochaine étape pour leurs poussins arrivera entre leur dixième et leur douzième mois : ils changeront alors de plumage pour en obtenir un étanche et pourront à leur tour partir en mer.


Articles précédents:
La naissance du poussin et ses premières semaines (4/6), la ponte et l'incubation de l’œuf (3/6), les parades et le cantonnement (2/6), la mue (1/6).

Merci aux manchologues Anne Cillard (Prog. 119) et Pierre
Carette (Prog. 137) pour leur aide dans la rédaction de cet article.
Photos de Jean-François Attard, Pierre Carette et Aurélie Dupont