dimanche 21 février 2021

Associer le bon et le beau …

Le "restaurant austral" de la base Alfred Faure, à l'image d'un restaurant étoilé, aime mettre les petits plats dans les grands. Mais il faut composer avec les moyens du bord, et les ingrédients alimentaires comme la vaisselle, prévus prioritairement pour un collectif affamé et parfois maladroit, ne sont pas vraiment adaptés à une démarche gastronomique… Alors comment font-ils ?
 

Présentons d’abord les principaux personnages.


Dans la cuisine, Francis et Morgan sont aux manettes depuis le 28 août et ne comptent pas leurs heures de travail. Sachant que les trois repas quotidiens qui rythment la convivialité de la base sont passés au crible des goûts de chacun, chaque hochement de tête ou claquement de langue est surveillé de très près…

Francis et Morgan : pli philatélique créé par Alain Matile @ A. Matile

Francis HUET, chef cuisine, est diplômé de l’école hôtelière de Saint-Jean-de-Maurienne en Savoie. Il a forgé son expérience à l’étranger dans des restaurants en Croatie, au Canada, en Australie, en Grande-Bretagne, en Suisse …

Ayant démarré sa première mission pour les TAAF en 2007, il s’agit de sa deuxième à Crozet pour un total de 14 missions ! D’une grande exigence, la cuisine qu’il propose est à la fois équilibrée et de grande qualité. Il doit cependant composer avec des ingrédients supportant le voyage en bateau et une conservation de longue durée (5 mois d’OP1 à OP2), donc pour la plupart congelés. Comme il adore cuisiner le poisson frais, notamment le tartare, c’est un rêve non assouvi dans les TAAF… Sauf à Amsterdam où il a pu régaler les hivernants de tartares de langoustes fraîches.

Il avoue que le plus difficile dans sa mission est de contenter tout le monde. Je vous assure qu’il y arrive. Les végétariens trouvent à chaque repas des plats appropriés, les touche-à-tout et les gros appétits sont eux aussi satisfaits. Tous les goûts sont respectés et pourtant Francis arrive magiquement à réduire la production de déchets alimentaires. Imaginez le travail quand il s’agit d’une campagne d’été à Kerguelen pour plus d'une centaine de personnes, trois fois par jour…

Francis © Sébastien Le Porh

Très colorées et pourtant à base d’ingrédients uniquement naturels : les entrées du réveillon
© Sébastien Le Porh


Morgan DERRIEN seconde Francis, munis de ses trois CAP (cuisine, boulangerie et pâtisserie) et surtout… de sa passion pour la pâtisserie. Il a été formé par différents chefs (dont Justin Zumkeller, second de cuisine chez Joël Robuchon et Samuel Blanchetière, de l’auberge du Nézyl à Saint-Lyphard) et a déjà travaillé dans différents restaurants gastronomiques dont un trois étoiles en métropole.

Il  s’agit actuellement de sa première mission pour les TAAF. Il a voyagé en Asie, pour apprendre à transformer les saveurs exotiques : il aime particulièrement travailler les agrumes, par exemple la bergamote ou le yuzu – écorce et jus – pour les intégrer dans des recettes métissées français-asiatique. Sa passion le rend très exigeant et à chaque compliment il vous retournera, en fronçant les sourcils, qu’il aurait pu mieux réussir tel détail… Si c’était possible, il aimerait pouvoir travailler à l’assiette mais les conditions sur la base le permettent difficilement. Comme Francis, il considère que la principale difficulté dans son actuelle mission est de composer avec peu de produits frais et aussi des produits non choisis, ce qui oblige à se creuser la tête pour trouver de nouvelles idées.

Morgan peaufine les desserts du réveillon © Sébastien Le Porh

© Sébastien Le Porh

Entremet framboises & pistaches © Mariane Benoit

© Sébastien Le Porh

© Sébastien Le Porh

Les saveurs étant magnifiées dans un bel écrin… Morgan et Francis ont sollicité Quentin pour la réalisation d’un joli plateau de desserts pour le réveillon. Admirez le travail.

© Sébastien Le Porh

Quentin RIBAR, venu de métropole, est arrivé à Alfred Faure le 13 novembre, comme ouvrier polyvalent au service Infra. Avec une particularité, à savoir une habileté et une créativité épatantes. Et pour cause : suite à son CAP menuiserie/ébénisterie il est devenu compagnon de France (après un voyage de 10 ans dans toute la France), reconnaissance complétée par une formation de ferronnier d’art avec mention restauration du patrimoine en ferronnerie.

Sur la base, outre sa participation à l’ensemble des travaux (polyvalence), cette compétence lui permet de fabriquer, avec les matériaux du bord y compris les déchets, un grand nombre de pièces fort utiles pour les chantiers, comme par exemple les tubes de protection des cheminées de la chaufferie, des pièces permettant d’haubaner les mâts ou pour réparer la pompe à gazoil. En effet,

Pompe avec pièce corrodée © Ludovic Lignier


Pièce réparée © Ludovic Lignier

suite à une fuite importante de la pompe à gasoil véhicule, la plaque de visite de la pompe était fortement corrodée et percée par la rouille. Il a remplacé la pièce avec une chute de tôle, découpée, emboutie et meulée.

A ses heures perdues, Quentin fabrique ou aide les hivernants à fabriquer de petits objets en métal, en dépannage ou pour des cadeaux. Un petit aperçu en images vous donnera une idée de son savoir-faire, en métropole et sur la base.

Atelier soudure du we pour la fabrication d’objets © M. Benoit

Broche réalisée par Quentin © Mariane Benoit

Les étapes de fabrication du plateau à dessert sont les suivantes :
 

© Mariane Benoit

Quentin a récupéré trois cornières en acier galvanisé dans les restes d’une échelle à crinoline. Puis il a démonté de vieux instruments de cuisine pour extraire des tôles inox.

Pendant un après-midi le we, avec une meuleuse, il a supprimé la couche de zinc des cornières. Il les a ensuite refendues, puis cintrées au "tas creux" (en tapant dessus) ; l’ouverture doit avoir l’angle adhoc pour permettre ensuite la pose des plateaux.

Une cornière brute © Mariane Benoit

Refente puis cintrage d’une cornière © Mariane Benoit

Évaluation de l’angle de la cornière pour permettre l’assise du plateau
© Mariane Benoit

On y est presque © Mariane Benoit

Ensuite les trois cornières ont été soudées sur leur arrête, puis réchauffées au chalumeau pour les noircir.
Les tôles ont été découpées à la meuleuse pour créer les plateaux, puis assemblées et vissées avec un taraud.
Le socle a subi le même travail ; pour lui donner une patine, Quentin l’a "rebrossé". L’ensemble a ensuite été soudé.
 

Les images suivantes vous donneront un petit aperçu des réalisations de Quentin en métropole:

Garde-corps d’escalier type art déco © Quentin Ribar

Restauration d’une grille de défense d’un Monument Historique © Quentin Ribar

Garde-corps d’escalier hélicoïdal débillardé (cintré sur élévation) © Quentin Ribar

Les passions et savoir-faire présents sur la base, ainsi associés, permettent souvent de faire face à un certain dénuement, grâce à l’ingéniosité de chacun, et à certains d'enrichir leurs connaissances durant leur temps libre.

Dessin d'Alain Matile.






5 commentaires:

johan a dit…

Francis le roi de la pèche à la langouste :) lorsqu'il est sur sa belle ile d Amsterdam :)

Johan
appro ams 65 et cro 54 :)

Anonyme a dit…

Bonjour,

Merci pour cet article qui met en exergue de très belles qualités humaines. Disons-le tout haut : Francis, Morgan et Quentin sont de parfaits ambassadeurs de ce qu'est l'excellence française : souci du détail, abnégation, résilience. Je suis fier de les compter parmi mes compatriotes.

Pierre M.

DISCRO a dit…

Merci Pierre, votre compliment les a laissé sans voix...
Bien cordialement

Cécile a dit…

Quel dommage de pas avoir entonner la marseillaise, Quentin!
Et, si j'essaie de faire des macarons à ton retour, tu me fera un joli présentoir aussi? :)
En tout cas vous avez l'air de bien manger!
Pensées et baisers de vitry

Unknown a dit…

Vos photos donnent la mesure de l'exigence souhaitée et de la qualité finale on en mangerait ! Cela dit sans parti pris Yves