lundi 10 juillet 2017

Récit de la 1ère campagne à Crozet (3/3)

Fin du récit d'Alfred FAURE (3/3)



Pendant tout le séjour, la vie du camp eut le caractère routinier des entreprises bien rodées, où aucun incident, aucune déficience ne viennent perturber le déroulement du programme.

Le cadre naturel de notre vie était assez peu agréable. Seul des ornithologistes amoureux des créatures ailées peuvent s'accommoder sans maugréer du bruit et de l'odeur d'une colonie de cent mille manchots et des quelques dizaines de prédateurs qui vivent aux dépens de la rookerie. Nous piétinions un sable chargé d'excréments. Pour ne pas déranger la faune, nous prîmes quelques précautions et je crois que notre présence ne causa aucune gêne aux oiseaux, la réciprocité n'étant pas vraie.

Certains prédateurs, les skuas, devenaient même les hôtes de notre table. Délaissant les manchots, une quarantaine de skuas venus d'un peu partout se chargeait de la consommation des restes de nourriture. Après notre départ, le retour de ces rapaces à des nourritures traditionnelles a dû être éprouvant pour les manchots.

Le site du camp manquait de dégagements et l'espace hors d'atteinte des eaux était très réduit : environ 6.000 m2. Les deux rives, hautes de 120 mètres, écartées de 200, nous encageaient. Chaque rive était couverte d'une végétation qui fixait le sol détrempé. Même sur ces pentes raides existaient des zones marécageuses, l'on entendait l'eau courir sous des voûtes d'herbe rase. Ces deux rives étant le chemin d'accès obligatoire vers l'intérieur de l'île, chaque sortie débutait par une pénible ascension. L'étroite vallée, plutôt la gorge, qui s'enfonçait dans l'intérieur, était un cul de sac où l'on venait buter sur un ressaut de grande hauteur que la rivière du Camp franchissait en une belle cascade.

Les torrents qui drainent l'île sont riches en cascades de toutes hauteurs, fréquemment ils se jettent à la mer du haut des falaises ; éclaboussée sous l'action du vent, l'eau retombe rarement de haut en bas. Vue de la mer, l'île, noyée dans la brume, paraissait couverte de végétation car seules les parties basses des vallées étaient visibles. En réalité, au-dessus de 150 mètres d'altitude, la végétation n'existait plus que sous la forme de quelques mousses. L'action du froid sur le sol reste partout présente. Les phénomènes de solifluxion sont abondants et très nets, l'action du gel sur les roches est responsable de gigantesques pentes d'éboulis.

Nos activités, surtout extérieures, étaient tributaires du temps. Pendant notre séjour, il ne fut guère clément, confirmant la réputation de l'Archipel. En plus du vent fort, propre à toutes les îles du Sud-Antarctique, la quasi-permanence de la pluie, des plafonds bas ou des brouillards furent une gêne extrême pour certains travaux, surtout celui de la cartographie. Il fallut toute la bonne volonté, l'endurance physique, le savoir professionnel des cartographes de l'équipe pour obtenir le portrait exact de l'île. Malgré tout, la partie Ouest conserve quelques secrets sur sa topographie détaillée. Lors de leur randonnée, les géographes connurent d'inconfortables nuits dans des abris sous roches, les tentes ne résistant guère aux tourbillons des sommets.

Les naturalistes se trouvaient in situ pour faire leurs études car leurs incursions dans l'intérieur le montrèrent parfaitement vide de toute vie animale notable, les animaux de toute taille et de toute espèce se cantonnant sur les côtes.

Pour effectuer des mesures représentatives, les météorologistes avaient disposé leurs appareils dans la pente et sur la crête de la rive Sud : chaque observation exigeait un parcours peu agréable, surtout par mauvais temps.

Trop fréquemment le mauvais temps nous condamna à de longues journées de travail dans les baraques où le confort relatif permettait de mettre au net les observations, de rédiger des notes ou de faire de petits travaux de laboratoire.

Ces longues journées de pluie étaient égayées par les repas qui traînaient alors un peu en longueur. La discussion était gaie et animée.

Modestement et très efficacement, radio, cuisinier, mécanicien accomplirent leur tâche.

Notre docteur, sans clientèle sérieuse pendant tout le séjour, se consacra à la botanique, après avoir rapidement installé une infirmerie bien équipée en matériel et médicaments.

Les jours passèrent très vite. Nous commencions à nous créer des habitudes, l'île devenait chaque jour notre bien et nous finissions par aimer ce paysage ingrat dont nous avions baptisé le relief de toutes sortes de noms : toponymie inspirée souvent par un petit fait de la vie quotidienne ou par nos sujets de discussion.

Le navire revint nous prendre le 3 février, au soir d'une des quelques rares journées de beau temps de notre séjour. Le réembarquement se fit de nuit. A peine était-il terminé que la tempête se levait. A notre départ, le lendemain matin, l'île était dissimulée sous un manteau de brume. Rapidement le camp fut hors de vue. Nous avions laissé les clefs sur les portes avec un avis rédigé en français et en anglais à l'attention d'éventuels navigateurs, baleiniers, naufragés ou touristes. Nous les invitions cordialement à user de nos vivres et de notre cave mais leur demandions de prendre soin de notre matériel.


Le cirque aux mille couleurs
 
L’île de l’Est, vue du site retenu pour l’établissement permanent.
Le pylône anémométrique


En quittant la Possession, notre intention était de faire une visite d'une journée à l'Ile aux Cochons, surtout pour y faire une collecte de plantes et d'animaux. Pendant les six heures de route nécessaires, la tempête s'était renforcée. L'Ile aux Cochons fut détectée au radar, grâce auquel nous parvenions au mouillage. Le vent soufflait à 100 kms/heure de vitesse moyenne, avec de violents tourbillons dans le sillage de l'île, visible par intermittence dans les déchirures du brouillard.


Côte de l'Ile de la Possession vue du /S Gallieni


La tempête fit rage toute la nuit. Le lendemain matin, le navire revenait vers le mouillage, mais tout espoir de débarquer disparaissait à la vue de la forte houle brisant sur le rivage. Après quelques heures d'attente, le temps ne s'était pas amélioré ; roulant et tanguant violemment, le navire mettait le cap sur la Nouvelle-Amsterdam. Notre dernière vision des Crozet fut les îlots des Apôtres. Ces aiguilles de roche qui s'élèvent d'un seul jet à plusieurs centaines de mètres au-dessus de la mer nous laissèrent une forte impression.

D.               Résultats obtenus par la Mission à I'lle de la Possession.

La totalité du programme fixé a été réalisée. Un site a été retenu pour édifier l'établissement permanent et les moyens nécessaires pourront être définis en connaissance de cause. Le choix n'a pas été infirmé par les ensei­gnements du séjour. L'emplacement le plus favorable pour l'installation de la base permanente est sur le plateau situé au Sud de la baie du Navire qui est le meilleur point de débarquement de l'Archipel. La surface disponible permettra d'y placer des installations relativement importantes.

La carte de l'île a été dressée malgré quelques absences de détails dans la partie Ouest.

L'inventaire complet de la faune et de la flore avec collecte d'échantillons et un début d'étude écologique ont été effectués.

L'exploitation de la station météorologique a permis de préciser un peu le climat d'un été et surtout de confirmer l'importance des mesures effectuées aux Crozet pour la connaissance météorologique de l'hémisphère Sud.

La présentation des résultats détaillés fait l'objet d'études et de rapports des différents spécialistes.

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CONCLUSION

Esquisse de l'avenir des Crozet


Le financement de l'infrastructure de l'Etablissement à vocation de station radio-météorologique ayant été accordé par le FIDES, son édification débutera au cours de l'été austral 1962-1963.

La configuration et la nature du terrain sur la rive Sud de la rivière du Camp ne permettant pas la création d'une piste, il sera nécessaire en premier lieu d'y édifier un téléphérique allant de la plage de débarquement au plateau. Ce sera un véritable cordon ombilical dont les caractéristiques conditionneront le développement de la base.

A l'activité météorologique s'adjoindra plus ou moins vite celle de stations de géophysique dont l'installation est demandée depuis plusieurs années par les instances internationales.

Sur le plan économique, les perspectives paraissent nulles. L'inventaire de la faune marine reste à faire, mais nos modestes pêches ne permettent pas de supposer l'existence de fonds poissonneux exploitables.

Sur le plan de la connaissance de l'Archipel, il sera intéressant, tôt ou tard, de faire l'inventaire de la faune marine et de celles des îles de l'Est et des Cochons. Bien que peu spectaculaire pour le profane, la microfaune de l'Archipel est peut-être une clé pour la connaissance de l'évolution géologique dans l'hémisphère Sud.

2 commentaires:

Isabelle 12558 a dit…

Merci Régis pour ces 3 articles qui m'ont passionnée.
J'ai aimé également voir la progression des sentiments de ces explorateurs au fil de leurs semaines pour cette ile si inhospitalière en 1962.
Grâce à eux, vous pouvez aujourdhui, vous aventuriers du 21e siècle, vivre une année inoubliable sur cette île que nous aimerions tous (re)découvrir!
Vous nous faites vivre cela par procuration.....c'est déjà ça.
Merci encore
Et si il y en a d'autres. .....nous sommes preneurs !

DISCRO a dit…

Oui, c'est tout à fait passionnant. Il y aura certainement d'autres articles. Et même s'il ne reste qu'un mois à présent, je pense que mon successeur sera à son tour intéressé par la poursuite de ces articles historiques.

Bonne soirée à vous.