Un oiseau noir sur le dos et blanc sur le ventre, qui vit dans l’eau et qui peut se tenir droit sur ses pattes arrières, pas si facile à première vue de faire la distinction entre un pingouin et un manchot. Et les appellations étrangères n’aident pas. Quand on sait que le manchot porte le nom de ‘penguin’ outre-manche, ou que nos voisins hispaniques le nomment ‘pingüino’, impossible de jeter la pierre à qui nommera un manchot, pingouin.
L'histoire d'une ambiguïté qui persiste...
Pour y voir un peu plus clair, il peut donc être de bon ton de retracer un peu l'histoire du terme manchot dans notre langue.
Le terme « pingouin » est employé depuis plus longtemps que celui de « manchot », assez logique quand on sait que les pingouins ont historiquement été découverts avant les manchots. Ce qui tombe aussi sous le sens car, strictement restreints à l’hémisphère sud (hormis peut-être d’incroyables cas d’oiseaux perdus), on ne rencontre aucun manchot dans l’hémisphère nord, hémisphère exploré bien plus tôt que son pendant austral.
Les « pingouins » seraient grossièrement l’équivalent septentrional des manchots. Ce sont les Alcidés, ces oiseaux marins que l’on peut voir sur nos côtes européennes, comme le coloré Macareux moine (Fratercula arctica) par exemple, mais aussi le mignon Mergule nain (Alle alle) ou le métropolitain Pingouin torda (Alca torda), aussi encore appelé aujourd’hui Petit pingouin. Car à l’origine, le terme « pingouin » et son équivalent britannique ‘penguin’, désignaient le regretté Grand pingouin (Pinguinus impennis), oiseau inapte au vol (à la différence de ses cousins cités plus haut), inféodé à l’hémisphère nord, mais aujourd’hui tristement disparu depuis le milieu du XIXè siècle. Les ‘penguins’, c’étaient alors à l’époque ces oiseaux marins noir et blanc qui vivaient dans l’hémisphère nord, et tout le monde était d’accord là-dessus (même si l’on ne sait toujours pas vraiment aujourd’hui l’origine étymologique du mot « pingouin » ...).
Photo © Erwan Balança |
Photo © Boaworm, commonwiki |
Représentants du groupe des « pingouins »,
les
alcidés. Dehaut en bas . - Le Pingouin torda (Alca
torda), le Macareux moine (Fratercula
arctica) et le Mergule nain (Alle
alle).
Maintenant, quand l’hémisphère sud a été exploré, la ressemblance entre ces deux groupes a fait que le même nom leur a été attribué. On avait alors les pingouins du nord et ceux du sud. Mais dans un souci de classification, et peut-être aussi pour éviter trop de confusion, un nom différent a fini par être attribué à chacun des deux groupes. Et c’est là que le bât blesse. Deux écoles ont émergé avec les français d’un côté, qui, sûrement par respect chronologique mais aussi par souci de classification rigoureuse, ont décidé de garder le terme « pingouin » pour les oiseaux du nord, et d’employer le terme « manchot » pour ceux du sud (Buffon, éminent naturaliste français de l’époque, souhaitant mettre en avant avec le mot latin ‘mancus’, « manque », les courtes ailes de ces oiseaux austraux si atypiques qui paraissent presque atrophiées). De leur côté, les britanniques ont fini par retirer au pingouin son nom originel, de ne plus l’appeler ‘penguin’, mais de favoriser plutôt le terme ‘auk’, après avoir attribué par glissement de sens le terme ‘penguin’ aux oiseaux de l’hémisphère sud... Et la disparition du Grand pingouin n’a pas aidé à conserver ce terme pour ses cousins septentrionaux.
Fallait-il renommer les pingouins ou leur laisser leur nom originel ? Pas de mauvaise foi ou de chauvinisme contrarié ici, mais il faut bien reconnaître que la diffusion massive de la langue anglaise à travers le monde par la suite a quelque peu malmené notre terme ‘manchot’ et embrouillé plus d’un esprit...
. ... mais qui est seulement linguistique quand on y regarde d’un peu plus près.
Peu importe comment nous les appelons, une chose est certaine, les pingouins ne font pas parti de la même famille que les manchots. Même s’ils se ressemblent beaucoup du fait de fortes similarités de milieux de vie, l’environnement sous-marin, le froid, ou les proies, ils ne partagent pas la même histoire évolutive. Et la première grosse différence qui saute aux yeux est le mode de locomotion. Certes les pingouins au nord sont eux aussi de formidables nageurs et plongeurs, mais ils n’ont toutefois pas les capacités hors normes des manchots. Et même si leur mode de vie n’est pas aussi spectaculairement aquatique, ils compensent plutôt bien en étant toujours capables de voler. Jusqu’à effectuer parfois d’extraordinaires migrations à travers l’hémisphère nord. Alors que chez nos manchots au sud, strictement inféodés aux milieux marin et terrestre, le vol est depuis fort longtemps perdu.
Ordre des sphénisciformes, famille des sphéniscidés, ...
Un peu comme à l’image des Cétacés chez les mammifères s’il eut fallu faire une comparaison pour illustrer, les manchots représentent parmi tous les oiseaux qui existent ou ont existé les nageurs/plongeurs par excellence.
Les pattes sont courtes, inutile sous l’eau de se percher ou courir, et positionnées bien à l’arrière du corps, ce qui optimise l’hydrodynamisme et la propulsion sous-marine. C’est entre autres cette conformation qui leur confère cette bipédie si caractéristique et familière quand ils sont à terre.
Leurs plumes aussi sont en quelque sorte uniques chez les oiseaux, puisque inutiles pour voler mais entièrement impliquées dans la plongée et la protection face au froid. Les belles et grandes plumes de vol que l’on peut voir chez les albatros par exemple, sont absentes chez les manchots, chez qui les plumes sont presque toutes identiques, particulièrement courtes et raides dans un plumage très dense. Associées au duvet près du corps, ces plumes de surface permettent à la fois d’isoler l’oiseau au maximum lors de ses plongées et de lui procurer ici aussi un hydrodynamisme performant.
Les ailes d’un manchot n’ont ainsi rien à voir avec des ailes d’oiseau « classiques », à tel point qu’elles sont peu souvent appelées « ailes », mais plutôt ailerons ; membre lui aussi unique chez les oiseaux, avec des os complètement aplatis, assurant une portance sous-marine optimale pour une propulsion efficace. C’est d’ailleurs l’étymologie même du nom de la famille des manchots, les Sphénisciformes ; le grec ‘sphen-‘ faisant référence à leurs ailes en forme de coin (outil pas très connu mais qui a effectivement une forme d’aileron de manchots).
Si l’on retourne à présent aux pingouins pour comparer les deux groupes, les ailes (et les plumes si l’on regarde plus en détail) sont donc un critère imparable pour les différencier. Alors que l’on peut avoir l’impression qu’il « manque » des ailes chez les manchots, les pingouins possèdent, eux, toujours de longues plumes de vol réparties sur toute la surface de leurs ailes, qui ne ressemblent pas vraiment aux palettes natatoires des espèces animales complètement inféodées au milieu marin. C’est presque comme si le terme « manchot » était plus adapté que ‘penguin’… Presque…
.. ... des groupes diversifiés tout autour de l’océan Austral.
Si l’on quitte maintenant les querelles linguistiques pour se concentrer un peu plus sur la famille des manchots, on reconnaît aujourd’hui au moins 18 espèces dans le monde entier (donc seulement l’hémisphère sud), réparties en six grands groupes, depuis les environnements polaires de l’Antarctique jusqu’aux milieux tropicaux de l’Afrique du Sud ou de l’Amérique du Sud[1].
Et pour ce qui est des Terres Australes Françaises et Crozet en particulier, seules quatre de ces espèces peuvent être rencontrées : le groupe des « manchots à aigrettes » avec les Gorfous macaronis et sauteurs ; le Manchot papou ; et le Manchot royal.
Rédacteur : Alexandre Vong, ornithologue programme 109 / Ipev
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